Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avoir écrit vingt noms et autant de numéros à la suite les uns des autres, avait été boire un « canon » pour reprendre des forces.

En son absence, des fédérés vinrent à la prison disciplinaire demander les dominicains pour aider à faire des barricades. Un gardien nommé Bertrand, qui suppléait Bobèche et qui conservait encore quelque respect pour le caractère religieux, ne put jamais se résoudre à envoyer les prêtres travailler à pareille besogne ; il osa prendre sur lui de mal interpréter l’ordre transmis et de livrer à leur place 14 gardes nationaux, emprisonnés pour irrégularité dans le service. Bobèche ne tarda pas à revenir ; il était furieux contre Bertrand, qu’il accusait de faire verser le sang des patriotes et de ménager celui des curés. Il avait amené avec lui un détachement du 101e bataillon, et il ordonna d’aller immédiatement chercher les calotins. Bertrand refusa d’obéir à une injonction verbale, il voulut dégager sa responsabilité, exigea un ordre écrit et un reçu. Bobèche fut obligé de céder, il écrivit : « Je soussigné délègue comme gardien chef par le colonel Cerisier à la maison disciplinaire de la 13e légion prend sur moi responsabilité d’envoyer, pour travailler aux barricades, d’après les ordres que j’en ai reçus les vingt prisonniers écroués sous les numéros 98 à 116 : BOIN. Paris, 25 mai 1871. » Bertrand alors ouvrit la porte de la geôle, et Bobèche cria : — Allons, vieilles soutanes, levez-vous et arrivez à la barricade. — Les dominicains se présentèrent dans l’avenue, ils aperçurent le détachement du 101e ayant à sa tête Serizier.

Cette fois les dominicains se crurent perdus : ils se trompaient, leur agonie devait se prolonger encore. Le procureur, le père Cotrault, arrivé sur le seuil de la prison, s’arrêta et dit : — Nous n’irons pas plus loin, nous sommes des hommes de paix, notre religion nous défend de verser le sang, nous ne pouvons nous battre, nous n’irons pas à la barricade ; mais nous sommes infirmiers, et jusque sous les balles nous irons chercher vos blessés et nous les soignerons. — On allait probablement passer outre et les forcer à marcher, mais il y eut hésitation dans le détachement des fédérés. Serizier sans doute eut peur de n’être pas suivi ; il dit alors au père Cotrault : — Vous promettez de soigner nos blessés ? — Oui, nous le promettons, répondit le procureur, et du reste vous savez que nous l’avons toujours fait ! — Serizier fit un signe à Bobèche, qui réintégra les dominicains dans la geôle. Ils ne se faisaient plus d’illusion, ils sentaient bien que le moment de répit qu’ils venaient d’obtenir ne serait pas de longue durée ; ils se mirent en prière et se confessèrent les uns les autres.

Peut-être auraient-ils été sauvés, si Serizier n’eût appris des nouvelles qui l’exaspérèrent. Des hommes venant du quartier des Ecoles avaient pu gagner l’avenue d’Italie pour essayer de combattre encore ;