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troupe de Molière. La tradition de son séjour au Mans reste donc plus que douteuse.

La troupe a-t-elle visité Bordeaux et donné des représentations devant le duc d’Épernon, gouverneur de Guyenne? Mêmes incertitudes, mêmes hypothèses, même difficulté de prendre parti. Les frères Parfaict, dans leur Histoire du Théâtre-Français, inscrivent ici la date de 1645. Ils invoquent le témoignage d’un amateur peu connu des choses de théâtre, le sieur Nicolas de Trallage, et ses notes manuscrites; seulement ils en altèrent, ou du moins ils en abrègent les termes : « Le sieur Molière, dit en effet le manuscrit, commença à jouer la comédie à Bordeaux en 1644 ou 1645. » Or on vient de voir qu’en 1644 et 1645 Molière était encore à Paris se débattant contre la malchance avec ses compagnons de l’Illustre-Théâtre. De plus, ni pour 1644 ni pour 1645, la correspondance administrative du duc d’Épernon avec les jurats de Bordeaux ne laisse entrevoir la moindre allusion à des passages de comédiens. Et si l’on place les représentations de Molière en 1646, on avouera que l’heure était singulièrement mal choisie pour venir tenter la fortune dans une ville qui du mois de janvier au mois d’octobre de cette année même fut désolée par la peste[1]. Nous ne rejetons pas cependant la tradition du séjour à Bordeaux : elle est ancienne, elle paraît certaine, mais il faut expliquer comment il se fait que la trace en soit perdue. C’est ce qu’on ne peut faire qu’en l’avançant jusqu’en 1648.

A Nantes, nous rencontrons enfin des actes authentiques, de vraies preuves, des mentions sur les registres municipaux, et des actes de baptême aux registres des paroisses. La troupe y séjourna quelque temps, faisant par intervalles, aux alentours, des excursions assez lointaines. En juin 1648, on croit la rencontrer à Fontenay-le-Comte, en Vendée, où elle demeure presqu’un mois. Un sieur Dufresne y a loué un jeu de paume : un jeu de paume, c’est bien la scène ordinaire de nos comédiens; Dufresne, c’est bien le nom du chef de la bande. On indiquerait d’ailleurs aisément dans un lexique de Molière quelques provincialismes qui seraient un souvenir de ce séjour dans les provinces de l’ouest de la France.

Son passage à Limoges est déjà moins assuré, quoique cependant probable encore. La légende raconte que Molière, accueilli par les huées et les sifflets du public limousin, en aurait conservé cette joyeuse rancune qui plus tard lui souffla Monsieur de Pourceaugnac. En effet, Petit-Jean, « ce traiteur qui fait si bonne chère, » et « le cimetière des Arènes, ce lieu où l’on se promène, » et l’église

  1. Arnaud Detcheverry, Histoire des théâtres de Bordeaux, 1860.