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d’un enfant de Mlle Du Parc en date du 8 mars 1654, un autre acte où elle prend part comme marraine à la date du 3 novembre de la même année. Nous arrivons ainsi jusqu’à l’époque probable où Molière quitte Lyon pour le « service des états de Languedoc » dont la session s’ouvre à Montpellier le 7 décembre 1654. Le fait est aujourd’hui certain. Il serait bien possible que ce fût là, sur cette terre classique de la médecine, séjour élu de la Providence et qui se vantait de compter parmi ses docteurs Ferragius, chirurgien de Charlemagne, et Marilephus, premier médecin du roi Chilpéric, que Molière eût pressenti pour la première fois quelle riche, féconde, inépuisable matière les médecins et les apothicaires fourniraient à sa raillerie. On saignait beaucoup à Paris, on détergeait à Montpellier. On cite à ce propos un certain mémoire d’apothicaire, gros, pour le court espace de six ans, de 980 articles, dont près de 300 « clistères réitérés[1]. » Ce qu’on peut toutefois affirmer, c’est que pendant ce séjour à Montpellier Molière vit de beaucoup plus près qu’il ne put le faire par la suite à Paris la médecine et les médecins. C’est l’avis aussi de l’auteur du livre très amusant sur les Médecins au temps de Molière. Peut-être y connut-il encore les originaux de ses Précieuses ridicules; peut-être, comme plus tard son ami Chapelle, y tomba-t-il au débotté sur une assemblée de dames « ni trop belles ni trop bien mises » qui « se mirent exprès sur le chapitre des beaux esprits, afin de lui faire voir ce qu’elles valaient par le commerce qu’elles ont avec eux. » On aimerait du moins à le croire, et que cette farce immortelle n’eût pas été dirigée contre l’hôtel de Rambouillet. La troupe resta près de cinq mois à Montpellier. Entre autres circonstances, Molière y figura dans ce Ballet des Incompatibles, dont on lui attribue témérairement la paternité. La campagne fut bonne. A la fin de la session, nous savons que le prince de Conti fit donner à la troupe une assignation de 5,000 livres sur le fonds des étapes de la province. Déjà, le 18 février 1655, Madeleine Béjart s’était fait souscrire devant notaire, par Antoine Baralier, receveur des tailles en l’élection de Montélimart, une obligation de 3,200 livres. Le 1er avril, elle plaçait encore une somme de 10,000 livres sur les états de Languedoc. Voilà une comédienne bien avisée : multipliés par cinq, ce sont là chiffres respectables et nous sommes loin des mauvais jours où le chef de l’Illustre-Théâtre, faute de paiement d’une somme de 150 livres, était décrété de prise de corps et mis au Châtelet. Que d’ailleurs ces 13,200 livres, — car ici les érudits donnent la bride à leurs hypothèses, — représentent les économies de Madeleine Béjart, ou que Madeleine, dans ces placemens,

  1. Louis Lacour, le Tartuffe par ordre de Louis XIV, 1877.