On sait comment expira Molière et quelles difficultés sa veuve dut écarter pour le faire enterrer : ici encore la légende et l’histoire sont mêlées et confondues, il est bon de les séparer. Ce sont toujours les dures, les impitoyables paroles de Bossuet qui nous reviennent en mémoire, comme si Bossuet les eût prononcées au lendemain même de la mort de Molière et que cette voix retentissante eût proféré l’anathème solennellement jeté sur le théâtre et sur la profession de comédien par l’église tout entière. Mais les paroles de Bossuet sont de 1694, c’est-à-dire postérieures de vingt ans et plus à la mort de Molière, et le livre de M. Despois a prouvé nettement l’importance qu’avaient ici les dates. En 1694, Bossuet interprète la doctrine des Pères avec une rigueur qu’on était loin d’y mettre en 1673. En 1673, le divorce du théâtre et de l’église n’était pas encore consommé. Tous les actes de baptême que nous avons rappelés, d’autres encore où Molière figure comme parrain, sur les registres de Saint-Roch en 1669, après Tartuffe, sur les registres d’Auteuil en 1672, démontrent suffisamment que, si le « rituel de Paris pour 1645 rejette les comédiens de la communion, » cela ne veut pas dire, comme on traduit à l’ordinaire, qu’ils soient excommuniés. Les comédiens italiens par exemple alliaient fort bien les pratiques d’une dévotion scrupuleuse à l’exercice de leur profession. Molière lui-même avait un confesseur attitré, « M. Bernard, prêtre habitué en l’église Saint-Germain-des-Prés, » et il faisait ses pâques, en dépit du rituel. Nous savons d’ailleurs qu’en 1672, un an jour pour jour avant Molière, Madeleine Béjart étant morte, retirée depuis un an du théâtre, il est vrai, mais toujours qualifiée cependant, — et jusque dans l’acte d’inhumation, — de « comédienne de la troupe du roi, » la cérémonie de son enterrement ne souleva pas la moindre difficulté. Si nous remontions jusqu’en 1659, nous verrions son frère Joseph Béjart, mené en carrosse de Saint-Germain-l’Auxerrois à Saint-Paul, et suivi « d’un convoi de cinquante prêtres. » Il ne semble même pas qu’on eût exigé du frère ni de la sœur les renonciations in articulo mortis qu’on imposa plus tard aux comédiens et dont on trouve le formulaire dans les registres de paroisse, à la marge de plusieurs actes d’inhumation. Tenons donc pour assuré que, si la mort précipitée de Molière ne l’eût pas empêché de recevoir les sacremens et de faire sa paix avec l’église, la cérémonie de ses funérailles se fût accomplie sans protestation du clergé. Tout au plus est-il permis d’ajouter que les prêtres de Saint-Eustache, qui se plaignaient depuis plus d’un siècle des comédiens de l’hôtel de Bourgogne, leurs voisins, saisirent plus volontiers que les prêtres d’une autre paroisse le prétexte qui s’offrait de témoigner leur
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