littéralement l’achat par des personnages muets. Il a si bien réussi qu’aujourd’hui dans Victoria la plus grande partie des squatters tiennent leurs runs comme propriétaires et non plus comme locataires de la colonie, et que dans Queensland les squatters du riche district pastoral de Darling-Downs sont parvenus à se débarrasser à peu près des free selecters. Ces achats sont loin d’être toujours une bonne affaire, car il est évident que les moutons du squatter ne broutent pas davantage parce que le terrain est acheté au lieu d’être loué; les plus faibles s’y endettent ou s’y ruinent, mais les plus riches y gagnent une sécurité assise sur un droit indéniable, et, quel qu’en soit d’ailleurs le résultat pour les individus, l’élément pastoral en profite pour le maintien de sa prépondérance, puisque les terres ainsi achetées sont autant de milliers d’acres arrachés aux agriculteurs et qui ne feront jamais retour qu’avec le bon plaisir du squatter, bon plaisir qui risque de se faire attendre longtemps, étant donnés les sentimens qui l’animent à l’endroit des free selecters.
La nature, il faut bien le dire, appuie et favorise les prétentions du squatter à la prépondérance. Il est certain qu’une grande partie du sol australien est impropre à l’agriculture proprement dite. La plupart des terres sont couvertes d’interminables forêts de gommiers, et leur mise en culture exige par conséquent des capitaux qui excèdent d’ordinaire les ressources du petit agriculteur. Dans les vastes, mais rares espaces découverts, tels que les Darling-Downs dans Queensland, et la Riverina dans la Nouvelle-Galles du sud, il règne une désastreuse alternance de sécheresse et d’inondations. Dans l’Australie du sud même, qui est le véritable grenier des colonies et où les agriculteurs se sont portés en masse, il a fallu tirer une ligne, nommée ligne du Goyder, du nom du fonctionnaire qui l’a tracée, pour séparer la partie de la colonie où il pleut quelquefois de celle où il ne pleut jamais. Sous ces influences malfaisantes, les moissons dépérissent attaquées de la rouille ou ne parviennent pas à maturité. Dans certaines portions de l’Australie de l’ouest, le grain, grillé par la sécheresse, se présente à l’état de fétu; ailleurs des légions de sauterelles s’abattent sur les champs comme en Afrique et moissonnent pour l’agriculteur. Même dans les régions heureuses, il est difficile d’établir une moyenne de produits, tant les mauvaises années succèdent capricieusement aux bonnes. M. Trollope nous donne les chiffres des récoltes pour l’Australie du sud pendant six années; les disproportions sont énormes. En 1866, 6,560,000 boisseaux de blé; en 1867, 2,580,000 seulement; en 1868, le chiffre se relève jusqu’à 5,173,000, et il baisse de nouveau en 1869 de près de moitié, 3,052,000, pour remonter enfin en 1870 à 6,960,000. Notons, pour faire mieux comprendre combien