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sans dire, et l’on peut croire aussi qu’elles ne sont pas appliquées sans l’accompagnement ordinaire de récriminations criardes et d’invectives plus ou moins heureusement inventées, ainsi qu’en témoigne cette diatribe à intentions poétiques, œuvre d’un ouvrier renvoyé, que M. Trollope vit un soir écrite à la craie sur la porte d’un squatter de ses amis :

Bien le bonsoir à l’émeu sauvage,
Bien le bonsoir au kangourou,
Bien le bonsoir au squatter de la plaine,
J’espère bien ne plus jamais revoir cette sacrée canaille !


Cette œuvre satirique n’est pas le nec plus ultra de l’épigramme, mais, à défaut de mérites plus prononcés, elle a certainement de la couleur locale.

La laine est, on le sait, le grand article d’exportation de l’Australie. M. Reid nous apprend qu’à elle seule la Nouvelle-Galles du sud, qui est, il est vrai, celle des six colonies où l’élément pastoral a pris l’extension la plus considérable, en a exporté en 1875 plus de 87,500,000 livres, qui ont produit une somme de 5,650,000 livres sterling. Ce sont là de beaux chiffres, mais le squatter a grand besoin que sa précieuse denrée se maintienne toujours à de hauts prix, car ses moutons ne valent absolument que pour la laine, et si une baisse s’opère, il ne peut se rattraper sur ses troupeaux même. L’exportation est difficile, excepté de colonie à colonie; la grande quantité des moutons met la viande à bas prix, — 2 et 3 deniers la livre, — et d’ailleurs la consommation intérieure est nécessairement modérée. On a beau manger du mouton trois fois par jour et sous toutes les formes, 2 millions d’hommes ne font que des brèches insignifiantes dans cet inépuisable stock de nourriture. Lorsque la laine ne rend pas, que faire donc de ces millions de moutons? On en prend alors plusieurs milliers dans chaque station et on les jette dans des chaudières pour en extraire le suif; mais cette ressource est loin de fournir une compensation sérieuse à la perte subie sur le prix des laines, car nous voyons que dans la Nouvelle-Galles du sud, tandis que le montant des laines s’élevait à un chiffre de 5,500,000 livres pour l’année 1875, le produit du suif, augmenté de celui des peaux et des cuirs de bestiaux, n’excédait que de fort peu la somme de 306,000 livres. D’énormes quantités de viande sont en outre absolument perdues dans cette opération peu fructueuse, et, bien que par suite de l’abondance et du bas prix de cette denrée les colonies et les squatters aient également peu à souffrir de ce gaspillage, on ne peut s’empêcher de regretter à la manière des gens du peuple que cette masse de nourriture disparaisse sans profit aucun pour personne, lorsqu’il y a dans le monde tant