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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/648

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Nous avons cherché avec curiosité dans le livre de M. Trollope des renseignemens sur l’immigration chinoise en Australie; notre attente a été en partie déçue, mais le peu qu’en dit notre auteur est bien d’accord avec les opinions exprimées par M. Dixon sur l’immigration des habitans du Céleste-Empire en Californie et les sentimens que M. de Beauvoir n’a pu retenir en leur présence. Il les a vus, dans les faubourgs de Ballaarat et dans les terrains abandonnés de Sofala de la Nouvelle-Galles du sud, laborieux, mais sordides, sobres, mais vomissant l’opium, propres à tout travail, mais infectant de leurs superstitions et des honteuses mœurs de leur vieille civilisation la jeune société australienne. En revanche, il nous fournit de curieux détails sur une autre immigration de barbares plus voisins, l’immigration polynésienne, moins nombreuse et moins redoutable que celle des Chinois sans doute, mais qui arrive aux mêmes résultats, ceux de substituer au travail libre un travail à demi servile, et de faire baisser pour certaines industries la main-d’œuvre de la race blanche. Cette immigration ne s’est encore produite que dans une seule colonie, Queensland, et il est douteux qu’elle la dépasse, car la cause qui l’y a attirée est un fait tout local et qui peut difficilement se produire dans les autres colonies, la culture de la canne à sucre.

Queensland produit du sucre, en petite quantité encore, mais en quantité suffisante pour ses besoins avec un surcroît de quelques exportations dans les colonies voisines. Si faible que soit cette production, elle n’en est pas moins d’une importance extrême pour la colonie, car ce ne sont pas seulement les grands propriétaires qui font œuvre de planteurs, les petits agriculteurs, les free selecters, se sont mis de la partie et cultivent la canne sans fabriquer eux-mêmes le sucre, laissant ce soin spécial aux manufactures, gênés qu’ils sont par l’insuffisance des capitaux. Cependant cette culture devrait être abandonnée s’il fallait avoir recours au travail blanc, et cela pour deux raisons : la première, c’est que le blanc, dans Queensland comme aux États-Unis, comme à Cuba, comme au Brésil, a été reconnu impropre à ce travail ; la seconde, c’est que le prix élevé de la main-d’œuvre excéderait de beaucoup les bénéfices de cette production. L’esclavage a pris fin dans toutes les colonies anglaises, la race africaine n’a jamais été importée sur les rivages australiens, l’immigration chinoise n’avait pas encore commencé lorsque Queensland a entrepris cette culture; à quelle population avoir recours pour pousser et faire fructifier l’entreprise ? Pour résoudre la difficulté, on a eu recours aux Polynésiens des îles de la Mer du Sud, que l’on a engagés dans des termes analogues à ceux dans lesquels sont engagés pour l’Amérique du Sud les coulies chinois et indiens.