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certes pas éprouvé le même sentiment; mais peu à peu, par le travail, le polissage et les préparations artificielles qu’ils ont subies, ils ont fini par perdre l’apparence de tissus organisés, et l’instinct, impropre aux distinctions trop subtiles, les traite comme des substances minérales.

Cherchant maintenant à tirer la conclusion de ces premières observations, nous verrons qu’un objet ne nous paraît dégoûtant que lorsqu’il appartient à une substance organisée et ayant conservé des vestiges de son organisation, que le dégoût provient non pas des corps simples, inorganiques, tels que le carbone ou l’oxygène, mais des composés multiples produits dans la nature par les êtres vivans, plantes ou animaux.

Pour ce qui est des plantes, il est difficile de trouver celles dont la vue ou l’odorat excitent le dégoût; mais un grand nombre d’entre elles ont des saveurs si acres et si insupportables qu’il faut pour en avaler même de petites quantités un effort de volonté très pénible et désagréable. Aussi n’est-il pas hors de propos de voir à quel point les sensations d’amertume ou d’âcreté se rapprochent du sentiment du dégoût.

Nous disions en commençant que la sensation gustative proprement dite, dégagée des sensations tactiles de la langue et des odeurs perçues dans les fosses nasales, se bornait à l’appréciation des saveurs sucrées, amères, acides, salées. Il y aurait peut-être quelques réserves à faire sur ce sujet, aussi bien que sur l’opinion généralement adoptée que la base de la langue perçoit les saveurs sucrées et la pointe de la langue les saveurs amères. Toujours est-il que les substances non dissoutes n’agissent pas sur les papilles gustatives. C’est pourquoi beaucoup de substances minérales, étant insolubles, sont aussi dépourvues de saveur, tandis que la plupart des substances minérales solubles affectent désagréablement les organes du goût. Je ne parle ni des acides ni des bases dont l’action est caustique, mais seulement des sels. Les seuls sels que nous goûtons sans déplaisir sont les sels de sodium et de potassium, qui en réalité entrent dans l’alimentation et font partie intégrante des élémens de nos tissus. Les autres sels solubles exerceraient une action nuisible, et le goût nous en avertit. Ainsi les sels de magnésium sont d’une amertume insupportable, les sels de cuivre, de fer, ont une saveur métallique odieuse et presque nauséeuse. Les sels de plomb sont presque sucrés, mais leur saveur sucrée est aussi astringente et en somme très désagréable, de sorte que l’on ne pourrait en prendre une quantité nuisible sans faire un effort violent pour vaincre le dégoût qu’ils nous inspirent.

Nous pouvons donc regarder comme démontré ce fait très important