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que, pour les substances minérales solubles, le goût nous avertit de celles qui peuvent nous nuire. Il y a un rapport étroit entre la toxicité des corps et leur saveur, et il en résulte que les substances toxiques nous répugnent, et qu’il faudrait faire un effort pour s’empoisonner par ce moyen. Pour les gaz, cette loi comporte en apparence quelques exceptions; ainsi l’oxyde de carbone, que chacun sait être un poison, n’a aucune odeur nous avertissant de sa présence. Il peut être répandu en quantité notable dans l’atmosphère sans être reconnu, et nous serions tentés de croire à un oubli de la nature, qui ne nous permet pas de nous mettre en garde contre un gaz toxique sans odeur; cependant cette appréciation serait erronée. En effet, quand nous parlons de la prévoyance de la nature, nous voulons seulement dire que, par une prodigieuse série d’habitudes transmises par l’hérédité, nous sommes devenus aptes à reconnaître instinctivement quelles sont les substances nuisibles à notre organisme. Or l’oxyde de carbone, produit par la combustion incomplète de l’acide carbonique, ne se trouve jamais dans la nature à l’état de liberté. Il y a du carbone, il y a de l’acide carbonique, mais ce n’est que dans les laboratoires ou dans certaines conditions factices, comme celles de l’industrie minière, que l’on pourrait trouver de l’oxyde de carbone. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si un gaz, que certainement bien peu d’êtres vivans ont eu l’occasion de respirer, ne provoque chez leurs descendans aucune sensation pénible et paraît complètement inodore.

Cette distinction nous permettra de généraliser notre première remarque et de dire que le goût et l’odorat nous avertissent de l’action nuisible des substances minérales naturelles, c’est-à-dire répandues dans la nature à l’état de liberté.

Pour les végétaux, nous retrouverons ces mêmes précautions de la nature. Dans un champ du Nouveau-Monde, où croissent des herbes toxiques que ni lui ni ses ancêtres n’ont connues, le cheval de l’ancien continent ne s’empoisonnera jamais, comme si l’instinct l’avertissait de la funeste action de ces substances; mais il n’y a là rien de merveilleux ni de spécial aux chevaux ou aux autres animaux, et il en est à peu près de même pour l’homme.

Prenons pour exemple ces substances organiques complexes, si bien étudiées aujourd’hui, et qu’on appelle des alcaloïdes. La plupart des plantes vénéneuses renferment un ou plusieurs alcaloïdes, et ce sont ces principes qui donnent à certaines plantes des propriétés toxiques et médicinales si actives. Les alcaloïdes sont des corps ayant une constitution chimique analogue à l’ammoniaque, et susceptibles de se combiner aux acides pour former des sels cristallisables ressemblant aux sels ammoniacaux, Il me suffira d’énumérer