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séquestration ; c’était là un raisonnement si clair qu’il fallut bien s’y rendre. Dès lors on fit des expéditions nocturnes.

Les quatre garnemens, suffisamment armés, sortaient ensemble vers les dix heures du soir ; on allait dans le quartier, heurtant aux portes, faisant ouvrir au nom de la loi, et, sous prétexte de s’assurer que les locataires de la maison envahie n’entretenaient pas de relations coupables avec Versailles, on fouillait les meubles, on forçait les tiroirs et l’on dévalisait les commodes. On ne sortait jamais de là les mains vides et parfois on s’en allait les poches pleines. Lorsque l’on tombait par hasard sur des récalcitrans, on les emmenait à Sainte-Pélagie et on les y gardait un ou deux jours au régime de la prison. Quand l’aubaine avait été bonne, on se donnait une petite fête entre intimes, ce qu’ils appelaient « un balthazar. » Les moins gris couchaient le directeur, qui, ayant la tête faible, tombait toujours le premier sous la table. Une nuit, ils firent mieux ; guidés par Préau de Védel, ils se rendirent près de la place Saint-Victor, dans une vaste maison où logent la plupart des Italiens, musiciens ambulans et modèles, qui pullulent dans Paris. Ils s’adressèrent à une famille composée du père, de la mère et de deux filles déjà grandelettes : on ne trouva rien dans les meubles que différentes nippes insignifiantes ; cela parut singulier et peu naturel ; les femmes, obligées, le pistolet sur la gorge, de se mettre nues devant ces coquins, furent dépouillées des ceintures où elles avaient caché leurs économies. La prise était bonne sans doute, car « la noce » qui suivit cette expédition se prolongea pendant deux jours. C’étaient du reste des gens d’ordre et d’économie. L’abbé Beugnot, aumônier de Sainte-Pélagie, avait été contraint de quitter la prison et de se réfugier chez un ami pour éviter les mauvais traitemens dont il était menacé ; dès qu’il fut parti, on crocheta la porte de son appartement, on brisa ses meubles, on vola son linge, on vida sa cave. Jusque-là rien que de naturel ; mais Ranvier, dépositaire et responsable des deniers de l’état, fit remettre à l’abbé Beugnot la facture du serrurier qui avait ouvert les serrures et la note du commissionnaire qui avait employé quatre jours à transporter le vin de sa cave au local de la direction ; l’abbé Beugnot ne crut pas devoir payer.

Le 26 avril, un surveillant de la Santé, nommé Villemin, vint prendre service à Sainte-Pélagie en qualité de sous-brigadier ; ce Villemin, ancien marin, ancien soldat, homme ferme, droit et loyal, n’avait accepté cet avancement irrégulier que sur les instances de M. Claude, chef du service de sûreté, alors détenu comme otage à la Santé. Le poste de brigadier était vacant à Sainte-Pélagie et M. Claude avait parfaitement compris que l’autorité de Villemin