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totalité, leur aspect naturel en un mot, et non leur constitution chimique, ou la structure intime de leurs parties.

C’est surtout la considération des objets au point de vue de leur valeur alimentaire qui modifie les sentimens instinctifs que ces objets nous avaient inspirés tout d’abord. Ainsi nous avons vu que les mouches avaient du goût pour les matières putréfiées qui constituent leur nourriture : il en est de même pour les oiseaux de proie, les rats, et autres animaux qui se nourrissent des mêmes substances. Les vers, les mouches, les insectes sont recherchés par les oiseaux. Certains oiseaux mangent des reptiles, mais en général ils éprouvent pour ces êtres une profonde répulsion. Quant à l’homme, sa nourriture étant très variable, selon les goûts individuels, selon les mœurs et les climats, on comprend quelle infinie diversité cela impose à ses goûts. Je ne parlerai pas des pays où on mange des nids d’hirondelles, des petits chiens, des sauterelles, des lézards, des poissons pourris, du sang et de la graisse de phoque, ni même de ceux où l’homme se nourrit de chair humaine, car il est évident que pour les Européens, qui n’ont jamais songé à voir dans ces objets un aliment, ce seraient des alimens répugnans et odieux ; mais prenons seulement ce qui se passe chez nous et autour de nous. Ne voyons-nous pas certaines personnes manger des limaçons et des grenouilles? Pour la plupart d’entre nous, ces animaux ne paraissent pas être des denrées alimentaires, l’instinct a conservé toute sa force, et nous les représente comme des êtres répugnans. Il est même probable que les personnes qui les mangent auraient un certain dégoût à les toucher, et à les voir ailleurs que sur leur assiette. L’habitude a une telle importance que nous mangeons sans dégoût du boudin, des tripes, du foie, et que pourtant le sang de porc et les intestins de veau dégoûtent ceux qui les voient au moment où le porc et le veau viennent d’être tués. Dans un cas c’est l’idée de la mort, dans l’autre cas c’est l’idée de l’aliment qui domine, en sorte que, selon qu’on s’attache à l’une ou à l’autre idée, on éprouve un sentiment de goût ou de dégoût. Il y a quelques années, pendant le siège de Paris, de douloureuse mémoire, la population a trouvé une ressource alimentaire précieuse dans la viande de cheval; beaucoup de personnes n’en ont fait d’abord usage qu’avec une extrême répugnance ; mais peu à peu on a considéré la viande de cheval comme un aliment, et tout dégoût a disparu. Évidemment c’était l’habitude qui nous faisait considérer le cheval comme un animal utile aux voitures et aux attelages, mais non comme une viande de boucherie. De là l’effort qu’il a fallu faire pour abandonner la première idée et en reprendre une autre nous permettant de manger du cheval sans répugnance. D’ailleurs