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que mon raisonnement ne vaudrait pas le leur?.. Il y a du mal, il y a du bien, et le bien l’emporte. Il ne fait pas tant de bruit, il ne se pavane pas, il ne s’étale pas, il ne hurle pas, mais il est présent, il agit, et la main qui en dernier lieu couvrira l’œuvre des sept jours sera la sienne ! »

Je pourrais citer d’autres scènes, la mort de Savonarole, la mort d’Alexandre VI, l’infâme guet-apens de Sinigaglia, déjà mis en drame dans le César Borgia de M. Auguste Barbier, les entretiens de Michel-Ange et de Machiavel, du Titien et de l’Arétin, la mort de Raphaël, le sac de Rome ; les exemples que j’ai signalés suffisent pour montrer quel est le sentiment de l’histoire et de l’art chez M. de Gobineau. Il est attentif, exact, pénétrant, et, bien que l’indignation éclate çà et là dans ses peintures, on y sent encore plus la douleur, une douleur mêlée de sympathie et de reconnaissance. Ce n’est pas lui qui voudrait confondre le génie de la race italienne avec les scélérats qui ont souillé telle ou telle partie de ses annales. Toutes les nations de l’Europe ont besoin, je ne dis pas de la même indulgence, je dis de la même équité, à quelque moment de leur vie séculaire. Chez M. de Gobineau, ce n’est pas l’équité indifférente d’un homme qui connaît les hommes; c’est la sympathie d’une intelligence amie des arts et de la haute culture. « Je ne regrette pas d’avoir vécu, » dit le vieux Michel-Ange à la marquise de Pescaire, dans la dernière scène du livre ; « j’ai connu le frère Savonarole, madame, et jamais l’aspect de cette physionomie auguste n’a disparu de ma mémoire. J’ai vécu de ses leçons. » Ainsi, à chaque page, on sent que la sympathie l’emporte sur la tristesse dans les études de l’auteur, comme le bien l’emporte sur le mal dans cette théorie du monde que le dominicain expliquait tout à l’heure à l’imagination terrifiée de la duchesse de Gandia. En un mot, M. de Gobineau aime ardemment l’Italie pour les services qu’elle a rendus à l’Europe et au genre humain. Là encore, nous pouvons ajouter un nouvel anneau à la chaîne de nos vieilles amitiés.

Un dernier mot. Puisqu’il est question d’ouvrages appelés à entretenir les relations séculaires de l’Italie et de la France, pouvons-nous omettre le beau livre que notre collaborateur, M. Charles de Mazade, vient de publier sous ce titre : Le Comte de Cavour? Les lecteurs de la Revue connaissent déjà ces pages excellentes, ils y ont apprécié la richesse des informations, la noblesse des sentimens, le désir de concilier tous les intérêts et de respecter tous les droits; aucun d’entre eux assurément n’a oublié l’émouvant tableau de la mort si digne, si chrétienne, du grand ministre italien. Nous n’avons donc rien à leur apprendre en rappelant le sérieux mérite du livre de M. de Mazade ; il s’agit pour nous tout simplement de prononcer un nom sans lequel cette revue littéraire serait demeurée trop incomplète.


SAINT-RENE TAILLANDIER.