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en Orient n’aura-t-elle pas été tranchée par les armes ? L’Europe ne se réveillera-t-elle pas en présence d’une de ces péripéties, d’une de ces paix soudaines qui ont plus d’une fois mis fin aux guerres entre Russes et Turcs? Le moment n’est pas encore venu sans doute; mais il peut venir avant qu’à Vienne ou à Londres on soit arrivé à savoir si on veut laisser la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg aller, elle aussi, jusqu’au bout. Aujourd’hui l’avantage de la décision reste à la puissance qui est en pleine action, qui s’est jetée pour ainsi dire de tout le poids de ses armes sur ce problème oriental.

Les affaires de la Russie, il est vrai, ne sont point partout également brillantes. La campagne d’Asie n’a pas décidément réussi. Les Russes ont été arrêtés sur tous les points dans leur marche concentrique en Arménie, ils ont été repoussés victorieusement par les Turcs. Soit que le plan d’invasion ait été mal combiné, soit que les forces russes se soient trouvées insuffisantes, soit qu’il y ait eu du décousu dans l’action de colonnes trop disséminées, les généraux du tsar ont échoué là où leur succès paraissait le plus vraisemblable, et ils ont échoué devant celui des chefs militaires turcs qui inspirait le moins de confiance. Le commandant de l’armée ottomane d’Asie, Moukhtar-Pacha, s’est certainement tiré, ne fût-ce que pour le moment, d’une position périlleuse. La colonne formant l’aile droite de l’invasion russe est allée se heurter inutilement contre Batoum. L’aile gauche du général Tergukasof, après avoir marché de succès en succès de Bayazid à Toprak-Kalé, a été arrêtée net et mise en déroute sans avoir pu être secourue en temps opportun. Le général en chef lui-même, Loris Melikof, marchant au centre et couvrant les premières opérations de l’investissement de Kars, est allé se faire battre à Zewin. Les forces du tsar ont été battues en détail, et de cette invasion, commencée avec une apparence d’éclat, il n’est plus resté bientôt qu’un mouvement précipité de retraite vers la frontière, d’où les Russes ne peuvent s’élancer de nouveau qu’après s’être suffisamment reconstitues. Ils ont besoin de renforts d’autant plus sérieux qu’en reprenant la campagne en Arménie, comme ils s’y préparent, ils ont à se tenir en garde contre les mouvemens d’insurrection qui se manifestent dans le Caucase. Si les Russes ne poursuivaient la guerre qu’en Asie, ils ne feraient pas absolument jusqu’ici une figure de victorieux; mais ils ont en Europe un champ de bataille bien autrement important, le Danube, la Bulgarie, les Balkans, et c’est là évidemment que la Russie porte avant tout son attention, qu’elle amasse tout ce qu’elle a de forces : c’est là que la lutte décisive est désormais engagée. Les événemens graves se pressent maintenant et pourraient bien n’être que le prélude d’événemens plus graves encore.

La Russie semble vouloir regagner aujourd’hui, par la rapidité de sa marche et de ses coups, la lenteur vraisemblablement inévitable qu’elle a mise dans ses opérations au début de la campagne. Après avoir été