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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/734

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les communautés de paysans et en même temps il signifie le monde, l’univers; il comporte une idée d’ordre et de beauté, et par là il a pu être rapproché du grec ϰοσμος. Ce n’est point en vain que ce terme de mir a ces multiples significations. Le mir russe, tel qu’il a traversé les siècles au-dessous du servage local et de l’autocratie centrale, est vraiment un petit monde au milieu du grand, un monde enclos, fermé, complet en soi et se suffisant à lui-même, un véritable microcosme. Pendant des siècles, le paysan russe n’a vécu que la vie du mir. Selon une remarque de Herzen, le moujik n’a connu de droits et ne s’est connu de devoirs que vis-à-vis de sa commune[1]. Le mir était pour le paysan comme la petite et la vraie patrie, le reste, la Russie des seigneurs et des employés, lui apparaissait comme un monde étranger et souvent ennemi.

En Russie plus qu’ailleurs, on peut dire que la commune ainsi conservée dans ses formes anciennes est la cellule primitive, la monade initiale de la nation, sinon de l’état. Toute la vie russe semble avoir été originairement modelée sur ce type traditionnel dont la Moscovie des tsars et la Russie impériale ont de plus en plus dévié. Aux communautés de villages et à l’état, au mir du moujik et à l’autocratie tsarienne, l’on peut cependant trouver un prototype commun, la famille, modèle initial et encore vivant de toute la société russe, au fond de laquelle il s’est conservé jusqu’à nos jours dans son intégrité primitive[2]. Entre ces trois termes, ces trois degrés de la vie sociale, entre la famille, la commune et l’état, on a découvert en Russie une ressemblance de principe, une analogie de constitution, qui ont fait considérer les deux derniers comme provenant directement de la première. État, commune et famille ont paru comme les trois anneaux consécutifs d’une même chaîne, trois anneaux faits sur le même patron et ne différant guère que par la dimension[3]. La commune n’est que la famille agrandie, l’état enfin, ou mieux le peuple russe n’est que la réunion de toutes les communes formant une grande famille, dont primitivement tous les membres étaient égaux et dont le père est le grand prince, le tsar, l’empereur. Le pouvoir du souverain est illimité, comme le pouvoir du chef de famille, l’obéissance envers le tsar comme envers le père est sans condition. L’autocratie n’est ainsi que le prolongement de l’autorité paternelle. De la part des Russes, c’est du reste à tous les degrés de l’échelle une obéissance d’enfant

  1. Herzen, le Peuple russe et le socialisme, lettre à Michelet, 1852.
  2. Sur la famille et la communauté domestique chez les paysans, voyez la Revue du 15 novembre 1876.
  3. Voyez particulièrement Haxthausen, Studien, t. III, p. 120, 152, 198, 200.