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d’exclure de son sein tel ou tel individu, elle est maîtresse de le bannir de la communauté et du territoire même de la commune, ce qui pour le malheureux expulsé aboutit d’ordinaire à la déportation en Sibérie. Ce droit d’exil, qui aux mains d’une si chétive autorité nous paraît exorbitant, n’est encore qu’une conséquence logique du principe générateur du mir, de la propriété indivise et de la solidarité de l’impôt. La commune, responsable des taxes de tous ses membres, doit être maîtresse de les retenir dans son sein, maîtresse de les en rejeter, afin de n’être pas surchargée par la désertion des uns, ou appauvrie par les vices des autres[1]. En dépit de quelques abus, le gouvernement impérial n’a pas cru pouvoir dépouiller les communes de cette double prérogative; il a seulement cherché à en contrôler et borner l’exercice. C’est ainsi qu’un règlement récent (22 avril 1877) soumet les arrêts de bannissement prononcés par les communes contre leurs membres vicieux à la confirmation d’une autorité spéciale. Une circonstance particulière avait dans ces dernières années accru l’utilité d’un contrôle. D’après la loi, les frais de transports en Sibérie des paysans exclus de leur commune restent à la charge de cette dernière. Cette considération restreignait beaucoup le nombre des expulsions avant qu’un certain nombre d’assemblées provinciales (zemstvos) eussent imaginé de prendre cette dépense à leur charge pour permettre aux communes pauvres de se débarrasser des mauvais sujets et en particulier des voleurs de chevaux. L’intention était louable, mais en devenant gratuit le bannissement était devenu plus fréquent, et l’on avait vu se multiplier les sentences arbitraires ou iniques.

Dans des réunions d’un caractère aussi primitif que les assemblées de villages, ce serait une erreur que d’attacher une trop grande importance à la présence ou à l’absence de tel ou tel membre, au droit de vote de telle ou telle catégorie de paysans. Il ne faut point se représenter ces réunions de moujiks comme des séances de conseils solennellement convoqués, où l’on n’est admis qu’avec une carte d’électeur, où les suffrages des votans sont religieusement recueillis et comptés. Le mir est le produit de la coutume, les mœurs et l’habitude y tiennent lieu de loi. La législation peut édicter dans des oukazes en tant et tant d’articles les règles à observer dans la convocation et les délibérations de ces assemblées de village ; il faudra beaucoup de temps pour que tout y soit

  1. Sous le régime militaire récemment aboli, le recrutement était, pour la commune et les assemblées de villages, qui désignaient elles-mêmes les conscrits, un moyen de châtiment et d’exil. La nouvelle loi militaire, en enlevant au mir le choix des recrues, l’a dépouille d’une de ses principales et plus excessives prérogatives.