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scrupuleusement conforme aux édits et aux lois. Rien de moins formaliste que ces réunions de paysans; on n’y connaît point de règlemens à la façon de ceux qui président à nos assemblées ou à nos conseils électifs. On n’y observe ni cérémonial, ni étiquette. L’assemblée est entièrement maîtresse d’admettre à la discussion et au vote qui bon lui semble.

Les réunions ont lieu d’ordinaire en plein air, le plus souvent le dimanche, après l’office, aux environs de l’église, ou sur ces longues places qui servent de rues aux villages russes. Toute la population, hommes et femmes, adultes et enfans, assiste à la délibération. Les pères de famille, répartis en groupes ou formés en cercles, discutent les questions du jour pendant que les jeunes gens se tiennent un peu à l’écart ou écoutent en silence, car le respect de l’âge et de l’expérience est un des traits distinctifs du moujik, et une des conditions de la stabilité de son gouvernement. Dans ces séances, il n’y a ni bureau, ni président; le staroste, qui convoque la réunion et est censé la présider, est souvent confondu dans la foule. Quand il ne leur rend pas compte de ses actes ou de ses projets, le staroste ne fait guère qu’interroger les assistans et leur demander s’ils approuvent telle ou telle mesure, telle ou telle décision. On parle de tous côtés, tour à tour, ou tous à la fois sans demander la parole; d’ordinaire on fait peu de phrases et peu d’éloquence. Le plus souvent les affaires se préparent ou se terminent au kabak, au cabaret; c’est là que discutent les fortes têtes du village, là que se tiennent, pour ainsi dire, les commissions d’étude de l’assemblée. Comme dans toutes les réunions des paysans, l’on boit beaucoup avant, beaucoup surtout après. Les amendes imposées par les starostes des assemblées, ou les juges de volost sont le plus souvent bues au cabaret après la séance. Ce serait cependant une erreur que de se représenter ces réunions comme des assemblées d’ivrognes; d’ordinaire un homme ivre n’y serait point admis. Dans la discussion, le langage n’est point toujours parlementaire, il est souvent véhément et imagé : les railleries, les quolibets, les personnalités n’y sont pas hors d’usage. La douceur du caractère, les formes patriarcales ou les locutions bibliques de la langue, la politesse à demi orientale du paysan, donnent néanmoins à la plupart des séances de ces rustiques sénats une dignité simple et naïve qui ne se retrouve pas toujours dans les chambres des états parlementaires de l’Occident.

Dans ces assemblées, il n’y a point le plus souvent de vote régulier. On n’y connaît ni urnes ni bulletins de vote, ni scrutin public ou secret. L’empereur Nicolas avait voulu introduire chez les paysans de la couronne les bulletins ou les boules de l’Occident, la