porter que sur l’irrégularité des résolutions de l’assemblée, sur la procédure, et non sur le fond même de l’affaire. De tels appels sont du reste fort rares, plus rares que les injustices ou les excès de pouvoir. L’attachement du moujik pour le mir lui en fait accepter toutes les décisions, il n’aime point à recourir contre lui à une autorité étrangère. Dieu seul juge le mir, dit un proverbe populaire.
L’assemblée de village est ainsi souveraine dans son étroit domaine, et son autorité, presque égale à celle de l’ancien seigneur, est peut-être plus respectée. La commune délivre des congés temporaires à ceux de ses membres qui veulent gagner leur vie ailleurs, et souvent impose en échange des charges communales, une sorte de redevance fort analogue à l’obrok du servage[1]. Ce n’est point en effet le lieu du domicile qui détermine toujours à quelle commune l’on appartient, mais le lieu d’origine. Jusqu’à ces dernières années, la commune pouvait arbitrairement, capricieusement, simplement pour en tirer quelque argent, rappeler au village ceux de ses habitans qui, après l’avoir quitté, vivaient et prospéraient ailleurs. Comme au temps du servage, un simple ordre de retour, sans considérans ni justification des motifs, obligeait tout paysan à revenir à son village ; des règlemens de police récens ont cherché à mettre un terme à ces abus et une limite à ce droit de rappel aussi bien qu’au droit de bannissement. L’assemblée admet les nouveaux membres qui veulent s’établir sur ses terres comme elle congédie les anciens; elle nomme des tuteurs aux enfans mineurs, car dans toutes les classes de la société russe la tutelle des mineurs appartient à la communauté. Un vote de l’assemblée de village autorise ou interdit sur le territoire communal la présence d’un cabaret et prohibe l’usage des liqueurs fortes en dehors du domicile. Un vote institue des écoles et au besoin en rend, sous peine d’amende, la fréquentation obligatoire pour les enfans de la commune. Bien des villages ont dans ces dernières années recouru à ces remèdes radicaux contre les deux plus grandes plaies des campagnes, l’ivrognerie et l’ignorance[2].
La grande, la principale affaire des assemblées de villages reste toujours le partage des terres et la répartition de l’impôt. Cette
- ↑ La plupart des paysans des régions du nord répandus dans les villes sont dans cette situation, les terres, allouées à leurs familles, ne suffisant pas à payer leur part d’impôt. Un de mes amis avait par exemple à Moscou un portier qui gagnait 12 ou 15 roubles par mois et devait envoyer annuellement près de 50 roubles à sa commune.
- ↑ Ce double mouvement, qui a pris de grandes proportions dans certains gouvernemens de l’est, dans celui de Penza par exemple, semble en partie l’effet de la propagande de certains fonctionnaires; le progrès qui en résulte est souvent tout extérieur, plus apparent que réel.