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part de son influence sur l’autre. L’isolement moral et social reste ainsi dans les campagnes le lot de la noblesse russe : la chaîne du servage brisée, rien ne la lie plus aux paysans.

Cet isolement est réciproque, et, selon beaucoup de membres de la noblesse, c’est là la vraie cause des défauts de la libre administration des paysans, ainsi privés de l’influence et du concours des classes éclairées. Cette coopération des classes instruites, il faut, dit-on, la rendre au paysan en faisant participer les propriétaires à l’administration rurale, en réunissant dans une même juridiction, dans une même commune, le moujik et le barine. Le mode de propriété empêche de faire ce rapprochement dans la commune restreinte, dans les communautés de village; c’est dans la volost, dans la grande commune administrative, que tous les habitans d’une même paroisse, nobles, marchands, paysans, devront être réunis sans distinction de caste. Partant de ce principe, des assemblées de la noblesse et des assemblées provinciales se sont demandé dans ces dernières années s’il n’y avait pas lieu de créer une volost embrassant toutes les classes (vsesoslovnaïa volost).

Rien de plus libéral, rien de plus démocratique semble-t-il au premier abord que de tels projets. Au fond, cette nouvelle volost n’a dans les vues de ceux qui la défendent rien d’égalitaire que le titre. Cette formule de volost commune à toutes les classes abrite des prétentions aristocratiques et un retour plus ou moins déguisé vers l’ancienne tutelle seigneuriale. C’est un lien légal, une sorte de lien de vasselage que l’on veut renouer entre la grande propriété et les paysans, à la place du lien rompu du servage. L’ancien seigneur, en effet, ne veut point rentrer dans la volost des paysans à titre de simple unité n’ayant d’autre rôle ou d’autre place qu’un moujik. Tantôt l’on réclame pour lui une influence proportionnelle à l’étendue de ses terres, et l’on fait dépendre le chiffre des voix de la grandeur des domaines, tantôt l’on crée pour lui des fonctions nouvelles, ou bien on lui concède le droit de nomination aux fonctions d’anciens de village[1]. Tous ces projets, modérés ou excessifs, aboutissent directement ou indirectement à remettre plus ou moins le moujik sous la tutelle seigneuriale. Plusieurs propriétaires ont même été jusqu’à réclamer franchement le rétablissement à leur profit du droit de police ou de justice domaniale, citant l’exemple de la Prusse orientale au lendemain du jour où la plupart de ces prérogatives ont été enlevées à la Ritterschaft prussienne.

  1. L’assemblée de la noblesse de Pétersbourg s’est à cet égard fait soumettre, en 1874, des projets dont le plus modéré et le plus ingénieux semble celui du comte Orlof Davydof. — Voyez la belle étude de M. Dmitrief : Revolutsionny conservatizm.