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Irritée de pareilles prétentions, la presse a été presque unanime à signaler dans ce mouvement un retour hypocrite vers le servage. La cause de la volost commune est en ce moment perdue et abandonnée ; elle ne sera probablement pas longtemps sans être remise sur le tapis, car en dehors des velléités aristocratiques de quelques grands propriétaires, la question des rapports de la propriété individuelle et de la propriété collective est pour l’avenir de la Russie d’une importance capitale. Si l’on ne peut dire encore de quelle façon seront administrativement rapprochés l’ancien maître et l’ancien serf, l’on peut prédire que le rapprochement se fera tôt ou tard, et qu’un jour viendra où tous deux seront compris dans la même volost, si ce n’est dans la même commune. Ce qui est à souhaiter pour les libertés locales, c’est que l’introduction des classes cultivées dans les communes de paysans ne brise pas le mir en en voulant élargir le cadre.

Et maintenant ce self-government rural si merveilleusement préservé sous le servage et l’autocratie peut-il servir d’assise à de libres institutions politiques? A en juger par l’histoire séculaire du mir, cela n’est pas vraisemblable. L’exemple de la Russie montre que les libertés locales et les libertés politiques peuvent être deux choses différentes, isolées, sans lien ; elles ne se prêtent un mutuel appui que lorsqu’elles reposent sur un même principe. Or les institutions parlementaires, le self-government tel que l’entendent les peuples modernes et les institutions rurales, le samo-oupravlénié tel que le pratique la commune russe, ont une base toute différente : l’un est fondé sur le respect des droits de l’individu, l’autre sur l’autorité de la communauté.

Ainsi s’explique comment les franchises de ces petites républiques villageoises n’ont jamais conduit à la liberté politique, ainsi s’explique comment le mir s’est accommodé de l’autocratie aussi bien que du servage. Ces petites démocraties absorbant l’individu au profit de la communauté ont façonné le peuple russe au despotisme autant qu’à la liberté. Dans l’ancienne Moscovie, avant même l’établissement du servage, les paysans avaient leur mir, leurs assemblées, leurs starostes, leurs juges, leurs prêtres élus; mais tout cela n’empêchait pas leur oppression par les agens du prince et du fisc[1]. Les apologistes du 7nir ne peuvent le dissimuler, la commune, en enchaînant la liberté individuelle, a entravé le développement de la personnalité morale et émoussé le sentiment même du droit. A ce titre, la commune moscovite a eu sur toute la vie nationale une influence capitale et partout sensible. En Russie, dit Herzen,

  1. Voyez Solovief, Istoria Rossii, p. 135, 136.