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VOYAGE DANS LE PASY BASQUE.

en guise de castagnettes, se livrent à une sorte de balancement cadencé. Entre parenthèses, les castagnettes, que nous regardons en France comme l’accessoire obligé de toute danse espagnole, sont beaucoup plus rares qu’on ne l’a dit, et pour ma part je ne les ai guère vu employer qu’en Andalousie par des gitanas, danseuses de profession. Peu à peu les notes se pressent, les mouvemens se précipitent, le danseur, de plus en plus ardent, se rapproche de sa danseuse dans un élan passionné, les corps se joignent, les lèvres presque se touchent, quand soudain, par une adroite pirouette, la femme se dégage et la poursuite reprend de plus belle. La dernière figure est l’arin, arin, plus vite, plus vite ! dont la mesure rapide entraîne tous les couples confondus dans un immense galop.

Le zortzico doit durer en moyenne vingt minutes, et il ne s’en danse guère que quatorze ou quinze dans toute une romeria. Les gars de chaque pueblo, accourus à la fête, ont droit successivement à un tour de danse, et sont inscrits sur une liste que tient l’alcade pour éviter toute contestation. Du reste aucun trouble, aucun cri; un homme du village, exerçant pour la circonstance les fonctions d’alguazil, fait la police avec une petite houssine dont il assène quelques coups sur le dos des chiens errans ou sur les jambes des gamins trop curieux. Devant le banc des autorités est fichée en terre une lance ou bâton ferré; parfois la lance consiste tout simplement en une canne à pomme de vermeil que porte l’alcade; mais alors même que le banc est vide, il suffit que la lance soit là pour que l’ordre ne soit point troublé. Cela tient au respect de l’autorité commun à tous les Basques et sévèrement exigé par l’ancienne loi. « El que levanta la mano delante de la vara, la pierde; celui qui lève la main devant la verge de justice, la perd, » disait le fuero de Guipuzcoa. Aujourd’hui l’habitude est si bien entrée dans les mœurs que tout le monde s’y soumet, bien plus par un sentiment d’obéissance instinctive que par crainte de la sanction des lois. Pendant la fête, des rafraîchissemens sont vendus sur de petites tables de bois à l’ombre des grands arbres; ils ne se composent en général que de gâteaux secs, de chacoli, de cidre, de sangria, breuvage inoffensif fait avec du vin rouge de la Rioja, du sucre et de l’eau. Quand une personne se présente à qui l’on veut faire honneur, une place lui est offerte sur le banc des autorités, et c’est ainsi que j’ai assisté moi-même à la romeria de San-Cristobal, dans la commune de Forua, aux environs de Guernica. Au premier coup de la cloche, sonnant l’Angelus du soir, quelle que soit l’animation générale, la danse s’arrête, les magistrats se découvrent, et toute la foule avec eux : on récite la prière, puis le tamborilero précède les magistrats, qui font le tour de la place au son de la marche des infanzones, et pendant ce