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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

jeunes taureaux et où les bêtes doivent être banderillées, capées, pendant un temps plus ou moins long, mais point frappées à mort. La fête de saint Ignace reste donc pure de tout sang versé. A la vérité, je ne saurais dire si c’est le sentiment religieux qui seul empêche nos Guipuzcoans de s’offrir un vrai combat de taureaux avec l’accompagnement obligé de chevaux éventrés et le coup de grâce que la espada porte à la bête entre les deux épaules; en effet les Basques, — et je m’en étonne un peu, — sont peut-être aussi curieux que les autres Espagnols de ce cruel amusement; mais un taureau coûte cher, et sa mort est un luxe de capitale. Force est donc aux petites villes de se contenter de plaisirs plus simples et plus économiques. Le premier novillo est lâché sur la place que l’alguazil a fait évacuer par avance; la troupe ou cuadrilla des toreros l’y attend ; elle se compose modestement de cinq hommes à pied: deux chulos, deux banderillos, plus le chef qui est chargé de diriger leurs mouvemens et qui tient à la main une grande étoffe rouge comme un véritable matador, mais sans épée. Certes les combattans sont bien peu adroits, leurs costumes andalous bien fanés, et quand on a pu assister à quelque grande course de Séville ou de Madrid, le spectacle paraît mesquin. La foule ne marque pas moins l’intérêt qu’elle y prend par des exclamations, des encouragemens, des injures, lancés, soit aux hommes, soit au taureau, comme s’il s’agissait d’une partie beaucoup plus sérieuse. Quand celui-ci a été suffisamment capé et son cou lardé du nombre voulu de banderillas, sur un signe de l’alcade qui préside à la fête, il est entraîné bien vite hors de la place par l’entrepreneur de la course, toujours inquiet que ses bêtes ne lui soient rendues en trop mauvais état. Un autre alors le remplace, et ainsi de suite avec cette monotonie, ce retour prévu de péripéties invariables qui serait peut-être pour moi l’argument le plus valable contre les courses de taureaux. La fête se termine par l’entrée d’une vache, les cornes garnies de boules pour rendre ses coups inoffensifs ; tout le monde a le droit de descendre dans l’arène et de lui courir sus; plus d’un imprudent, pour avoir voulu l’approcher de trop près, est rudement bousculé, renversé à terre et foulé aux pieds ; mais ces petits accidens ne comptent pas. L’apprenti torero en est quitte pour se relever et se frotter les côtes, poursuivi par les éclats de rire de ses compagnons, et, quand un dernier signal de l’alcade vient mettre fin à la course, il n’est personne qui ne trouve le divertissement trop tôt terminé et qui à grand renfort de poings et de bâtons ne reconduise jusqu’au toril la malheureuse vache éperdue.

Dans la soirée, les danses populaires reprennent sur la grande place, où la jota aragonaise alterne avec le fandango. Pendant ce temps, un bal est offert par la municipalité dans la maison de ville