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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

c’est là qu’ils prêchent et pérorent, là qu’ils proclament hautement leurs opinions politiques, là qu’on les entendait naguère maudire la révolution et lancer leurs souhaits de mort contre les soldats du gouvernement, heureux encore quand ils n’allaient pas, jaloux du rôle de cabecilla et troquant le bréviaire contre le fusil, porter dans la lutte, avec leur cruauté froide, toute l’amertume de leurs rancunes, toute l’aigreur de leurs passions cléricales! Certains, à l’église même, récitent les offices avec une volubilité et un sans-façon scandaleux que rend plus sensible encore l’attitude recueillie des assistans. Le Basque en effet est si sincèrement croyant que ce qui ruinerait la foi d’un autre lui est une nouvelle occasion d’affirmer la sienne; faisant la part de la faiblesse humaine afin de pouvoir conserver plus pure en lui-même l’idée de la grandeur divine, jamais il ne s’en prend à la religion des fautes ou des erreurs de ses ministres, et, par une suprême marque de respect envers l’habit sacré dont ils sont revêtus, plutôt que de les accuser ou de les railler, il préfère détourner les yeux.

Le dimanche, dès le matin, chaque caserio prend un air de fête : la jeunesse, toujours impatiente, se rend à la première messe avec l’aurore, les parens et les vieillards attendent la grand’messe, celle de dix heures. Cependant sous l’effort des petits garçons du village hardiment grimpés en haut de la tour, les cloches tout à coup s’ébranlent et jettent leur appel sonore aux quatre coins de l’horizon; et déjà par tous les chemins, par tous les sentiers, le long des coteaux tapissés de fougères et d’ajoncs, au travers des bois de hêtres et de châtaigniers, les bonnes gens, à trois ou quatre, descendent vers l’église ; le chef de famille avec le béret neuf, les sandales en cuir jaune, la veste bleue où courent sur le devant et les épaules de fines broderies, la mère, invariablement vêtue de couleur sombre, la tête enveloppée d’une mante noire qui lui cache presque le front. A L’intérieur de l’église, les deux sexes sont séparés : les hommes occupent, soit en face du chœur, soit dans le chœur même, des bancs de bois dont le premier, plus commode et plus orné, est réservé à l’alcade et aux autorités; les femmes prennent place dans le bas de la nef sur les dalles de pierre ou les larges madriers de bois qui recouvrent le sol. Chaque famille à sa dalle assignée, portant un numéro distinct et qui naguère encore marquait le lieu de sa sépulture : ainsi s’explique l’habitude des femmes basques d’assister à la messe en vêtemens de deuil; en venant à l’église, on rendait visite à ses morts. Point de chaises; les paroissiennes s’agenouillent à terre, selon l’usage espagnol, et quand la fatigue arrive, elles s’accroupissent sur les talons; devant chacune d’elles, même la plus pauvre, est posé un cierge, ou tout au moins un long