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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

de cette petite ville dont les débuts furent si pénibles ! Elle dépendait de la juridiction de Fontarabie, et comme on craignait qu’en s’étendant davantage elle n’attirât à elle la population de la place, on s’ingénia par tous les moyens à entraver son développement. En 1499, un arrêt du conseil royal défendit qu’on élevât à Irun plus de maisons que celles qui existaient pour le moment; les marchandises et provisions dont les habitans avaient besoin ne pouvaient être achetées ailleurs qu’à Fontarabie. Maintenant les rôles sont intervertis. Grâce au surcroît de vie et de commerce que les chemins de fer suscitent sur tout leur parcours, et bien que la station soit établie à quelque distance de la ville, Irun ne peut manquer de grandir et de prospérer. Déjà ses rues s’élargissent, ses maisons s’éclairent; hommes et choses, tout s’anime, et l’ordre, la propreté, le travail, lui seront une ample compensation à l’originalité et à la couleur locale qui s’en va. Fontarabie au contraire, gardant son caractère, voit chaque jour précipiter sa décadence. Isolée sur une pointe de terre à l’extrémité de la Péninsule, ne menant nulle part, ne servant plus à rien, sombre, triste, oubliée, avec ses remparts croulant dans leurs douves, ses palais éventrés, son vieux château noir de poudre, elle autrefois le boulevard de l’Espagne, qui souffrit tant de sièges, qui résista à tant d’assauts, elle assiste de loin, farouche, au spectacle de la civilisation moderne et aux progrès de son ancienne rivale. A la vérité, si elle se peut vanter d’avoir détrôné Fontarabie, Irun n’est pas sans connaître déjà les inconvéniens de la grandeur; c’est elle désormais qu’on attaque et qu’on assiège. Pendant six jours, du 4 au 10 novembre 1874, les carlistes, qui occupaient les hauteurs voisines, entretinrent contre elle un feu terrible d’artillerie, et il fallut toute la promptitude et toute la décision du brave général Loma, arrivant à la hâte avec un corps expéditionnaire, pour la préserver d’une destruction complète. Néanmoins les faubourgs de la ville n’existaient plus, des pâtés entiers de maisons s’étaient écroulés sous les bombes ; dans la campagne, les fermes et les villas étaient devenues la proie des flammes allumées dans l’attaque ou la défense par l’un ou l’autre des deux partis. Combien de temps ces ruines attendront-elles pour être relevées? Je ne saurais dire; mais quand, prenant le train qui devait m’emmener vers Hendaye et la France, je voulus par la portière jeter un dernier adieu à la terre d’Espagne, mes yeux reconnurent, hélas! ces vestiges de la guerre civile que j’y avais trouvés un peu partout et qui avaient si fort attristé mon voyage.


L. LOUIS-LANDE.