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cantons gaulois que ce n’était pas trop de toutes leurs forces réunies pour tenir tête à un pareil adversaire, et, quand cette conviction fut devenue générale, il était déjà trop tard.

D’autant plus qu’au sein de l’oligarchie gouvernante et même en dehors d’elle, il y avait déjà dans la Gaule un véritable parti romain. Non pas qu’on désirât l’assujettissement proprement dit ; mais tous ne se révoltaient pas contre l’idée d’une alliance que Rome avait l’art de présenter sous la forme d’une fédération sur le pied de l’égalité. Le commerce avait propagé le goût de la civilisation. Dans l’union fraternelle avec Rome on entrevoyait une puissante garantie contre l’envahisseur germain, à la fois redouté et méprisé. Certains cantons, les Éduens surtout, s’imaginaient qu’ils devraient un jour à cette alliance la suprématie sur toute la Gaule. Comme en définitive le sénat romain, le plus habile des corps politiques, laissait aux peuples annexés les apparences de l’autonomie, sauf en quelques points qui semblaient sans importance aux naïfs, et qui en réalité faisaient l’office de morceaux emportant la pièce, il n’est pas étonnant que, là surtout où l’ancien particularisme n’avait encore été que peu modifié par le sentiment national, il y eût des romanisans plus enclins à accepter les avances du conquérant romain qu’à les repousser d’emblée.

Le fait est que César conquit la Gaule en grande partie avec le concours des Gaulois eux-mêmes. Déjà, chez les Séquanes, les Arvernes, les Éduens, les Cadurques, il y avait des chefs très flattés du titre purement honorifique d’ami du peuple romain, que le sénat avait daigné leur octroyer. Les légions de César se composaient en grand nombre de Gaulois cisalpins et même de transalpins. Il trouva chez les Senons et les Rèmes des auxiliaires dévoués dans sa campagne de Belgique, et les Éduens allèrent ravager le Beauvoisis pour détourner les Bellovakes de se joindre à la coalition des cantons belges. La flotte à laquelle César dut de pouvoir soumettre les cantons armoricains avait été construite, gréée, équipée chez les Santons (Saintonge) et les Pictons (Poitou). Il se servit beaucoup de la cavalerie gauloise, dont il estimait la fougueuse ardeur, quand même il nous la montre à chaque instant battue en punition de ses imprudences. Après la conquête, il enrégimenta à la romaine toute une légion de Gaulois, dont le nom, l’Alauda ou l’Alouette, fut emprunté au symbolisme indigène. César, dans ses Commentaires, visiblement destinés à frapper l’imagination et à flatter l’amour-propre du peuple romain, réduit le plus qu’il peut cette part prise à ses triomphes par une notable fraction de la nation vaincue, mais il n’est pas difficile de démêler la réalité en étudiant de près son habile et admirable narration.