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IV.

Ce serait une grande erreur que de se représenter César débouchant en Gaule en déclarant son intention de la conquérir. Qu’il méditât cette conquête, cela n’est pas douteux, mais il commença par affecter le rôle d’un protecteur et d’un défenseur. Il réussit assez longtemps à faire illusion.

Il débute par l’écrasement des Helvètes, qui avaient quitté en masse leurs lacs et leurs montagnes, saisis par la fièvre de l’émigration, pour aller s’établir dans une région fertile à l’ouest, du côté des Santons (Saintonge) et à proximité de la Province. Cette invasion formidable ne laissait pas d’inquiéter les cantons intermédiaires. Déjà les frontières des Eduens, amis du peuple romain, avaient à souffrir du passage des émigrans. César, qui leur avait barré la route du Rhône, les poursuit en Gaule même, et leur inflige deux défaites sanglantes ; puis il se retourne contre Ariovists et ses Germains, que les Séquanes (Franche-Comté) et les Arvernes (Auvergne) avaient appelés pour se venger des Éduens devenus prépondérans et tyranniques. Ces dangereux auxiliaires avaient dépassé les attentes de leurs alliés et pesaient d’un poids presque aussi lourd sur eux que sur leurs adversaires. Arioviste et ses bandes sont battus, jetés dans le Rhin, et César peut se poser dès lors bien moins en ennemi qu’en champion de la Gaule. Il reçut même les félicitations et les offres de service d’un grand nombre de chefs gaulois, qui toutefois, ceci est à noter, le conjurèrent de ne pas divulguer les avances qu’ils lui avaient faites. Cela prouve que l’inquiétude, relativement aux projets de la politique romaine, commençait à devenir très vive dans les cités gauloises.

On peut voir en effet que, parmi les chefs gaulois, plusieurs étaient d’avis qu’après avoir mis César et son armée à profit pour se débarrasser des Germains, il serait bon de réunir les forces de la Gaule entière pour expulser les Romains. L’impatience des cantons belges fit avorter ce premier plan d’union. Ils se crurent de taille à faire seuls la besogne ; mais César trouva chez les Rèmes une cité aussi bien disposée que les Éduens pour la cause romaine, soumit successivement les principaux cantons belges, battit, non sans courir de graves dangers, la belliqueuse nation des Nerviens, et, pendant ce temps, envoya son lieutenant Crassus faire en Armorique une promenade militaire, qui ne paraît pas avoir rencontré de résistance chez les cantons armoricains, pris absolument au dépourvu. Le général romain assimile ou peu s’en faut, cette marche rapide des légions à une conquête définitive : la suite prouva qu’il n’en