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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/875

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plus terrible des armes. Tous leurs coups de dent enlèvent, comme on dit, le morceau. Vrais fils de leur race, ils ont par excellence le don de l’observation moqueuse, qu’ils joignent à cet autre trait que nous avons eu l’occasion de signaler dans la vieille Gaule : la vivacité d’une imagination très éveillée, se peignant à elle-même, sous des couleurs très vivantes, les objets de son observation, ce qui leur permet ensuite de les représenter fidèlement et plastiquement. Les Allemands, qui ont très peu de bons acteurs, trouvent que nous avons toujours l’air de jouer un rôle, et de fait nous aimons la mise en scène, nous savons la soigner avec goût, souvent aussi nous lui sacrifions trop. Quand la mise en scène est celle de l’individu lui-même qui veut que nul n’ignore ce qu’il est et ce qu’il vaut, elle devient souverainement désagréable. Qui s’expose, nécessairement pose. En revanche, on a pu dire que nulle part le ridicule n’était plus puissant qu’en France, parce que nulle part il n’est plus senti. C’est probablement à cette disposition qu’il faut attribuer le bon goût que les étrangers s’accordent ordinairement à nous reconnaître. Ce bon goût n’est autre chose qu’une certaine sobriété inspirée par l’effroi de l’exagération qui prête à rire dès qu’elle manque son effet.

N’oublions pas non plus que les défauts gaulois sont aussi toujours les nôtres, je ne parle pas de la jactance, parce que, tout compte fait, c’est un défaut commun à tous les peuples du monde. Les formes différent, mais le fond est partout le même. Seulement on ne songe à relever ce défaut-là que chez les peuples qu’on redoute. J’entends plutôt la légèreté, l’imprévoyance, le contentement trop facile de nous-mêmes, les entraînemens irréfléchis, qui caractérisaient déjà nos aïeux dans la vieille Gaule. Il nous faut donc des institutions qui aident notre démocratie, si pleinement victorieuse aujourd’hui, à se gouverner et non plus à s’emporter. Hélas! à cette heure d’humiliantes expériences nous ont appris combien les vertus civiques sont indispensables à notre existence nationale. Une partie des nôtres paie encore la rançon de notre délivrance. Galli Gallos plorant. Mais il ne faut désespérer de rien. Soyons nationaux avant tout, fidèles à nous-mêmes, ni Romains ni Germains, mais Gaulois. Un génie aussi vivace, qui a survécu à tant de dominations, de révolutions et de bouleversemens, qui a su se relever de tant de chutes, regimber avec une îndomptable vitalité contre tant de causes de destruction, ressortir de tant de sépulcres dont la pierre semblait à jamais scellée, n’a pas dit son dernier mot à l’histoire. Il ne nous est plus permis d’être autre chose que très sages, mais la prudence est facile quand elle peut s’associer à la confiance.


ALBERT REVILLE.