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étaient comptés : la fuite seule aurait pu mettre sa vie en sûreté. Le malheureux Louis XVI n’était pas même capable de l’effort viril nécessaire pour sortir de Paris.

Le chevalier Bigot de Sainte-Croix fut le dernier ministre des affaires étrangères du roi : son premier soin fut de purger le département des hommes trop compromis; mais son pouvoir ne dura que dix jours. Le 10 août, il accompagna le roi dans ce lugubre défilé des Tuileries à l’assemblée. Il prit place avec la famille royale dans la tribune du logotachygraphe ; il assista à la suspension des pouvoirs de Louis et s’entendit nommer un successeur à l’élection. Cent neuf voix désignèrent Lebrun, qui fut proclamé ministre sur-le-champ. On dit que la reine, se penchant vers Bigot de Sainte-Croix, lui dit à l’oreille : « J’espère que vous ne vous en croyez pas moins le ministre des affaires étrangères. » Marie-Antoinette se faisait-elle encore illusion? Cependant, comme il était à craindre que l’assemblée ne rendît un décret de mise en accusation contre Bigot, le roi lui ordonna de partir. Le ministre s’échappa à la faveur d’un déguisement, au milieu de la foule qui entourait la salle des séances.


III.

Ce n’était pas un génie que le ci-devant prêtre et journaliste, premier commis par la grâce de Dumouriez, qui fut nommé ministre par l’assemblée législative; mais il apparaît animé des meilleures intentions, et il faut lui savoir gré de n’avoir dénoncé personne. Lebrun garda les commis de Dumouriez, et en nomma quelques autres, parmi lesquels Maret, qui devait plus tard rentrer au département comme ministre sous le nom de duc de Bassano. Le personnel, toujours augmenté, arriva à compter quatre-vingts employés, plus du double du nombre des commis de Vergennes et de Montmorin. Malgré cela, le travail ne se faisait pas : Lebrun imposait vainement une feuille de présence à signer ; en vain il ordonnait que les bureaux resteraient ouverts le dimanche. Les commis s’occupaient de politique, et les affaires étaient de plus en plus négligées.

Trois semaines après le jour où Lebrun prit le portefeuille se place le plus lamentable épisode de la révolution : les massacres de septembre, résultat du déchaînement des plus odieuses passions populaires et de la lâcheté du gouvernement. Deux des prédécesseurs de Lebrun furent victimes des massacreurs : Montmorin et de Lessart. Le premier, que le roi avait conservé comme conseiller particulier, avait été enfermé à l’Abbaye sans motifs, comme suspect. Il avait le sentiment de sa fin prochaine quand il fut tiré de