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d’autres, c’est que les maîtres de ces esclaves n’en étaient pas les propriétaires, mais seulement les usufruitiers. Cédés comme ouvriers et domestiques sans salaires aux habitans de la colonie, ils échappaient par là à la surveillance de l’autorité et se trouvaient beaucoup, pour l’exécution de leur travail, dans la même situation que l’agriculteur ou l’ouvrier libres. Si la conduite du convict était mauvaise, le maître pouvait demander qu’il fût puni, mais non pas infliger lui-même la punition. Dans les cas de paresse, d’insubordination ou de violence, le coupable était envoyé au magistrat le plus proche avec un billet réclamant pour le porteur tel ou tel chiffre de coups de fouet, réclamation à laquelle il était fait droit dans les derniers temps sur le simple mot du squatter, mais qui, à l’origine et pendant la période difficile dont nous venons de parler, ne recevait satisfaction que lorsque le magistrat s’était enquis de la justice de la plainte. Le convict se trouvait donc garanti par l’autorité anglaise contre l’arbitraire de ces instincts de cruauté dont la nature humaine est toujours si abondamment pourvue ; il l’était encore davantage contre la cupidité et l’avarice. Nous avons dit comment la gratuité du travail des convicts avait paru à un certain moment un privilège exorbitant et comment on avait réclamé du maître un salaire de 9 livres par homme employé, salaire qui constituait le pécule par lequel le convict pouvait redevenir honnête homme s’il méritait son pardon par sa bonne conduite. Enfin le convict avait le droit de demander à changer de maître, droit précieux qui lui laissait dans son abaissement un reste de dignité et qui le dispensait de la violence. Sous ce régime noblement libéral, où la sévérité et la justice étaient en intelligent équilibre, les forçats se montrèrent, pour la très grande majorité, de si bons et utiles serviteurs qu’aujourd’hui les Tasmaniens regrettent presque le temps où ils avaient le bagne à domicile, et que les femmes surtout ne tarissent pas d’éloges pour leurs anciens domestiques convicts. La liberté contient en elle de tels miracles quand elle est sérieusement comprise et autrement que comme synonyme d’insurrection et de représailles plus ou moins légitimes des faibles contre les forts.

Mais le même exemple qui nous a montré que le mal pouvait avoir son bien va nous montrer maintenant que le bien peut être générateur du mal. Cette douceur et cette bonne conduite des convicts australiens ont été pour les colonies un fléau plus durable que leurs vices et leurs crimes. Si nombreux ont été les tickets of leave et les pardons conditionnels que les convicts libérés ont fini par former un peuple entier dont les hommes libres et d’origine sans tache subissent le voisinage en frémissant et mettent tous leurs soins à éviter le contact. Dans la Nouvelle-Galles du sud, les convicts, relativement peu nombreux, se sont noyés et fondus dans l’ensemble