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de la population ; mais il n’en a pas été de même dans la Tasmanie, où leur grand nombre a tranché la société en deux races distinctes, celle des enfans d’Abel le juste et celle des enfans de Caïn le réprouvé ; il n’en a pas été surtout ainsi dans l’Australie de l’ouest, où ils sont presque prépondérans grâce au faible chiffre de la population et à certaines circonstances qui tirent leur origine de cette cause. Comme l’Australie de l’ouest manquait d’habitans, et que les convicts libérés ou porteurs de tickets of leave restaient forcément célibataires, on jugea politique autant qu’humain de leur donner des femmes qu’on leur ramassa dans l’écume épaisse du royaume-uni, et de ces unions bien assorties est née une florissante postérité qui tient sinon les emplois du pays, au moins une bonne partie de son commerce et de son travail. L’élément convict, dit M. Trollope, envahit toute cette colonie. « Si vous dînez hors de chez vous, il y a probabilité que le garçon qui vous sert était convict. Les travailleurs agricoles sont porteurs de tickets ou convicts ayant fini leur peine. Beaucoup des boutiquiers les plus prospères furent convicts. Il y a des convicts éditeurs de journaux. » Bref, ajoute notre auteur, la physionomie de Bill Sykes est frappante chez une grande partie de la population de l’Australie de l’ouest. Tous les lecteurs de Dickens qui connaissent le bandit de son roman d’Oliver Twist avoueront sans peine que la seule pensée de se trouver en contact même passager avec ce personnage, ou d’être soupçonné de lui toucher par un lien quelconque est faite pour troubler les moins timides. Ajoutons en effet que grâce à cette prépondérance les erreurs ont été si nombreuses que les habitans d’origine libre se sont vus forcés de multiplier les précautions pour ne pas être confondus avec les forçats libérés. Lorsque M. Trollope dut quitter la colonie, il lui fallut par exemple se munir du certificat suivant auprès de la police locale : « Je certifie ici que le porteur de ce papier, Anthony Trollope, qui est dans l’intention de se rendre à Adélaïde par le steamer de la compagnie australienne de navigation, n’a jamais été prisonnier de la couronne dans l’Australie de l’ouest. » voilà certes une petite pièce qui en dit assez long sur l’état social de cette colonie pour dispenser d’amples commentaires.

Toute l’histoire du passé australien se partage entre les convicts et les aborigènes. Ce sont deux fléaux, mais le premier n’a pas été inutile, nous venons de le voir, à la prospérité des colonies, et le second, quelque pernicieux qu’il ait été, n’a jamais été un obstacle sérieux à leur développement. Ce n’est pas que les hostilités aient jamais manqué ; à l’origine de la Nouvelle-Galles du sud, les combats étaient incessans, et les vols de bestiaux presque continuels. Pendant les premières années de l’Australie de l’ouest, il fallut soutenir une véritable guerre contre deux chefs noirs, Midgegoroo et