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de fois, louer l’Angleterre pour avoir accédé aux vœux de ses colonies australiennes, et s’être démise de la plus grande part de son autorité en leur faveur. A coup sûr, elle est digne de ces louanges ; mais il nous est difficile de comprendre comment elle aurait pu faire pour éviter de les mériter. En agissant comme elle a fait, elle a agi comme la nation libérale, intelligente et politique qu’elle a toujours été, mais elle n’a eu aucun sacrifice d’orgueil, de puissance ou d’intérêt à accomplir. Il n’y a et il ne peut y avoir que deux sortes de colonies. Les unes sont acquises par la conquête et formées au détriment des populations des pays conquis. Telles furent les colonies espagnoles du Nouveau-Monde, tel est de nos jours l’établissement des Anglais dans l’Inde. Que le gouvernement dont dépendent de telles colonies ne soit pas toujours disposé à se montrer libéral, il n’y a rien là qui soit fait pour beaucoup étonner, car ce gouvernement pèse sur une population dense et nécessairement ennemie, et il a ostensiblement pour but l’exploitation des richesses du pays et du travail de ses habitans. Se relâcher de son autorité en pareil cas serait faire aveu d’impuissance, et, comme on dit vulgairement, prêter les verges pour se faire fouetter. Non-seulement il refusera de reconnaître les droits des natifs, parce que cette reconnaissance serait la négation de la conquête, mais il étendra souvent ce refus à ses propres nationaux, parce qu’il les considérera moins comme des citoyens libres que comme des instrumens de son autorité, relevant en conséquence de ses ordres comme un employé d’administration et un soldat relèvent de leurs chefs hiérarchiques. Les autres colonies au contraire sont acquises par simple occupation du sol dans des pays incultes, habités par une population éparse, sans rapport avec l’étendue du territoire, sans état social qui la rende redoutable. Le but est bien toujours le même que celui des colonies acquises par conquête, c’est-à-dire l’exploitation des ressources et des richesses du pays occupé, mais ce but est atteint par des moyens plus pacifiques. Il est atteint lorsque le gouvernement dont dépend la colonie a aidé ses nationaux à s’y transporter, qu’ils s’y sont multipliés et y ont prospéré. Or c’était là le cas de l’Australie lorsque en 1850 Victoria fit entendre ses réclamations d’indépendance. Du moment que l’Angleterre ne pouvait plus continuer à garder l’Australie comme colonie pénitentiaire, elle n’avait qu’avantages à lui lâcher les rênes. Elle se déchargeait ainsi des dépenses d’occupation militaire et surtout d’administration, au moment où ces dépenses allaient être fort lourdes, comme l’ont prouvé depuis les dettes relativement énormes contractées par les diverses colonies pour leurs travaux publics et leurs voies de communication. Ensuite elle poursuivait son œuvre coloniale d’une manière bien plus efficace par le moyen de l’indépendance qu’elle