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l’Europe, où la vigne pousse entre le 35e et le 50e parallèle ; mais au de la du 48e la température devient trop froide, on a des vins acides ; en deçà du 42e, elle est trop chaude, on a le plus souvent des vins de liqueur, épais, alcooliques, très sucrés. Peut-être enfin faut-il tenir compte du fleuve lui-même dans lequel se mirent les vignobles, qui regardent ici la Gironde, comme ceux de l’Ermitage le Rhône, ceux de Tokai la Theiss, et ceux du Rhin le grand fleuve germanique. C’est sans doute à toutes ces conditions réunies que le vin de Médoc en particulier et ceux de la Gironde en général doivent leurs propriétés exceptionnelles. Aux États-Unis, dans les états de Missouri, d’Ohio, de Californie ; on a planté des vignes sur des coteaux bien exposés, le long des rivières, on a essayé de faire du vin ; en Australie également. Ces vins, nous ne craignons pas de le dire, sont pour la plupart détestables, chargés d’alcool, ont une vilaine couleur, un mauvais goût, sont dangereux à boire. Il n’y a d’exception que pour quelques vins de liqueur qui rappellent à s’y méprendre les moscatelles de Corse et d’Italie, le xérès d’Espagne, le constance du Cap. Pourquoi cet insuccès partiel ? Sans doute parce que toutes les conditions nécessaires ne sont pas à la fois remplies. Le climat, du moins aux États-Unis dans la région atlantique, est extrême, va du froid de Sibérie aux chaleurs du Sénégal ; en outre les soins méticuleux qu’en France et surtout dans le Médoc on apporte à la culture et à la vendange ne sont pas dans les habitudes des colons américains ou anglais. La vigne est cependant indigène dans l’Amérique du Nord. Quelles que soient du reste les raisons du fait énoncé, il n’en reste pas moins démontré que la France est le pays par excellence du vin, comme les États-Unis sont le pays du coton, Cuba celui du tabac, l’Arabie celui du café, et cependant la vigne a été importée en France par les Phéniciens et les Grecs d’abord, puis par les Romains ; elle n’y est pas indigène, pas plus que le coton ne l’est aux États-Unis, le tabac à la Havane, le café à Moka, où il fut transplanté d’Ethiopie. Sans aller jusqu’à préconiser, comme certains Bordelais, l’influence du vin sur la civilisation, on ne peut s’empêcher de reconnaître que c’est à la qualité exceptionnelle de leurs vins et à la consommation modérée, mais journalière qu’ils en font, que les Français doivent sans doute quelques-unes de leurs qualités aimables, l’esprit, la verve, la pétulance, la franchise, la sociabilité, la familiarité, qui les distinguent et.qui en font un peuple à part, changeant, quelquefois indisciplinable, mais qui plaît à tous.

L’habitant de Bordeaux a conscience de la valeur de son vin. Il le verse avec componction, doucement, s’assure de la transparence du liquide à travers le cristal, réchauffe le verre en l’entourant de la main, puis fait tourner le liquide d’un mouvement giratoire de droite