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l’incroyable ! Ce mot s’applique au luxe despotique lui-même, à ce luxe qui construit des colosses, sauf ensuite à les trouver trop petits, qui invente de monstrueux plaisirs dont il se fatigue, qui se crée au besoin d’inutiles obstacles pour les renverser, et qui incessamment change sans autre objet que le changement. Il veut l’incroyable ! C’est là sa devise et le principe de ses folies, de sa nature insatiable, toujours en quête de nouveaux rêves.

On a plutôt diminué qu’exagéré la part du luxe et de la cupidité dans les crimes du despotisme. La raison d’état a souvent caché d’inavouables convoitises. On allègue des cruautés pour la sécurité du prince, et ce qui se trouve au fond ce sont ces désirs infinis et la volonté de subvenir à d’excessives prodigalités. Mais ces violences qui se terminent à une élite, ces violences amnistiées par l’opinion populaire, trop souvent disposée à voir des vengeurs dans les despotes qui faisaient participer la masse, sous forme de plaisirs publics, au fruit de leurs rapines, devaient être complétées par l’oppression de la masse elle-même, condamnée à porter le fardeau ai faste constructeur sous la forme non-seulement d’impôts à payer, mais de corvées effroyables. Ici on cesse de compter les victimes ; nui abus plus odieux n’a été fait de la force humaine, et l’on en suit la trace à partir des Pyramides. Au reste, un mot suffira pour donner une idée de ce que le despotisme a su en tirer de prodiges : la mécanique moderne se reconnaît vaincue devant telle de ces œuvres ; elle ne se chargerait pas toujours de faire avec des machines ce qu’elle ne peut même s’expliquer qu’on ait fait avec des hommes !

Je ne fais qu’indiquer les effets connus de cet abus de gouvernement sur le luxe. On croit qu’il l’étouffé par la crainte ; en réalité, il le développe. Non-seulement il détourne de ce côté les âmes dégoûtées des affaires publiques, mais il en fait une sorte de calcul de prévoyance par la préférence donnée aux objets précieux et rares, aux matières d’or et d’argent, aux pierreries, sur la terre, qu’on surtaxe et qu’on pille. Ce n’est pas le despote seul qui possède ces parures magnifiques, ces trésors remplis de richesses de tout genre, comme on le voit encore en Orient. Tous les riches sont de même. Ce n’est pas là une simple affaire de goût, c’est une nécessité qui ne peut qu’entretenir les habitudes de paresse et de vice inhérentes à une richesse toute faite, qu’on ne reproduit et ne renouvelle pas, qui n’exige aucun effort pour se perpétuer de la part de ses possesseurs ni de la masse privée de travail et des élémens du bien-être. Il est curieux que la prodigalité sorte du même défaut de sécurité qui engendre ces accumulations qu’on prendrait pour de l’avarice, et rien pourtant n’est plus vrai. Il est