donne le nom d’espèces ont, à un certain moment, une réalité : ce ne sont pas de chimériques invention, des naturalistes ; elles ont quelque fixité, car aussitôt que des animaux ont pris des caractères un peu différens, ils cessent de s’unir, ou bien, s’ils s’unissent, ils donnent des produits qui ne sont pas féconds. Est-ce à dire pourtant que jamais les parens des êtres d’espèces différentes n’aient été rapprochés ? Quand nous voyons apparaître tour à tour dans les âges géologiques des espèces qui ont une extrême ressemblance, pouvons-nous marquer avec précision le moment où l’une finit, où l’autre commence ? On ne saurait le prétendre, puisque les observateurs les plus consciencieux et les plus expérimentés sont continuellement en désaccord sur la limite des espèces : là où celui-ci voit une espèce, celui-là ne voit qu’une race. Avant que les animaux aient été assez modifiés pour prendre des caractères divergens, ils ont pu s’unir entre eux. Tant que nous ne considérons que les coquilles fossiles, nos comparaisons portent sur un si petit nombre de caractères qu’il nous est possible d’hésiter à affirmer leur communauté d’origine ; mais, quand nous étudions des mammifères, qui ont un squelette très compliqué, il n’en est plus de même ; prenons une espèce fossile, comparons-la avec une espèce vivante qui est son analogue, mettons les têtes à côté des têtes, les vertèbres à côté des vertèbres, les humérus à côté des humérus, les radius à côté des radius, les fémurs à côté des fémurs, les pattes à côté des pattes, etc. ; souvent la somme des similitudes se montrera si grande, proportionnément à celle des différences, que l’idée de parenté s’imposera à notre esprit. Vainement voudrait-on nous montrer quelques légères nuances pour nous faire douter de cette parenté. Nous voyons trop de traits de ressemblance pour admettre qu’ils puissent être tous mensongers.
En même temps que la notion de l’immutabilité des espèces s’affaiblit dans l’esprit des paléontologistes, la notion des genres prend de l’importance. J’ai rapporté de mes voyages en Grèce une multitude d’os de rhinocéros fossiles ; je les compare à ceux des rhinocéros vivans, et, en présence de leur similitude, je ne sais plus où marquer la limite des espèces de rhinocéros. Mais ce que je sais bien, c’est que ces espèces sont du genre rhinocéros ; la notion du genre rhinocéros n’est pas le résultat de ma propre imagination ; elle n’est pas plus subjective que la notion de l’espèce, car, de même qu’à un moment donné il y a des rhinocéros que tout naturaliste s’accordera à regarder comme d’espèces distinctes, il y a des séries d’animaux que tout naturaliste s’accordera à rapporter au genre rhinocéros. Un de nos plus grands paléontologistes a dit : « Pourquoi l’espèce, si difficile à distinguer de la race, est-elle choisie de