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L’hypothèse que j’indiquais tout à l’heure rend compte difficilement de ces augmentations de force. Le mieux est sans doute de croire que la création du monde est continue ; quand nous considérons l’espèce, le genre, la famille, l’ordre, il nous est impossible de dire quelle est celle de ces catégories qui indique davantage une intervention de la puissance créatrice.

Je soumets ces remarques aux hommes qui s’intéressent à la question longtemps controversée des genres et des espèces. Peut-être, si le moyen âge eût connu l’histoire de la succession des êtres fossiles, les philosophes se seraient épargné des discussions où, pendant des centaines d’années, tant de talent a été dépensé sans résultat ; l’idée de la réalité des genres, que le génie des réalistes du moyen âge et des idéalistes de toutes les époques a su entrevoir, n’a été bien souvent que le résultat des ressemblances d’êtres dérivés les uns des autres, parens à des degrés divers.

S’il appartient aux paléontologistes d’apporter des preuves à la doctrine de l’évolution, il ne leur appartient pas d’expliquer les procédés par lesquels l’auteur du monde a produit les modifications. Cette étude des procédés est ce qu’on appelle le darwinisme, du nom du savant illustre qui en a été le principal promoteur. Assurément c’est un sujet bien digne de l’attention des naturalistes que l’étude des causes des modifications des êtres ; mais c’est aux physiologistes, qui font des expériences sur les créatures vivantes, de nous apprendre comment les changemens se produisent aujourd’hui et ont du se produire autrefois ; en employant une expression de M. Claude Bernard, je dirai que c’est à eux de nous faire connaître le déterminisme des espèces, des genres, des classes, c’est-à-dire les causes secondes qui ont déterminé leur formation. Sur ce sujet, un paléontologiste peut avouer son ignorance. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la découverte des vestiges enfouis dans les entrailles du globe nous apprend qu’une constante harmonie a présidé aux transformations du monde organique. Quels que soient les fossiles dont nous entreprenions l’étude, la beauté de la nature se révèle à nous.

Cette beauté de la nature, qui apparaît à toutes les époques, est le secret de l’entraînement que subissent tant de géologues dont la vie est vouée aux recherches paléontologiques et dont l’esprit trouve dans ces recherches un charme toujours renaissant. Lorsque George Cuvier put dans sa pensée redonner l’existence aux quadrupèdes du gypse de Paris, il dut éprouver de singuliers mouvemens d’étonnement et de plaisir ; là où s’étend aujourd’hui notre grande ville, il pensait voir des lacs où se baignaient les anoplothérium ; sur leurs rives bordées de palmiers, il apercevait des paléothérium d’espèces