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évadés et voulurent les contraindre à se battre. Un des prisonniers prit un fusil et commença le feu contre les troupes françaises ; au bout de quelques instans, il tombait mort, frappé d’une balle : c’était un soldat du 23e chasseurs à pied, nommé Roche, l’un des assassins de Vincenzini, et qui s’en vantait. Beaucoup de ces détenus se cachèrent dans les maisons voisines, gagnèrent au pied malgré la fusillade, et, pour la plupart, échappèrent sains et saufs à un nouveau danger. D’autres revinrent à Mazas, que quelques otages, l’abbé Crozes, M. Coré, n’avaient point voulu quitter. Garreau sentait bien qu’il n’était plus le maître, les surveillans devenaient menaçans pour lui ; il voulut regimber, on lui enleva lestement son fusil, et on l’enferma au no 8 de la sixième division, dans la cellule où l’abbé Crozes avait passé quarante-neuf jours. Le soir du 25, malgré la barricade Daumesnil, qui commandait encore le boulevard Mazas, un capitaine de l’armée régulière, dont un détachement venait d’occuper la gare de Lyon, se glissa jusque dans la prison, où il fut reçu avec un enthousiasme facile à comprendre. On prit tous les tonneaux vides que l’on put découvrir dans la maison, on les remplit de vieux chiffons, de vêtemens, de couvertures, et on les plaça sur le boulevard, l’un après l’autre, de façon à former une sorte d’épaulement qui pût intercepter les projectiles lancés par les fédérés embusqués derrière la barricade. Grâce à cet obstacle, une compagnie du génie, s’abritant derrière les tonneaux, put venir s’emparer de la prison et s’y établit. Quelques soldats avaient des pains de munition qui furent acceptés avec grande joie par les pauvres prisonniers, dont nulle distribution de vivres n’avait apaisé la faim depuis trente-six heures. Le capitaine du génie fut rapidement mis au courant de ce qui s’était passé ; son premier mot avait été : « Où est le président Bonjean, où est l’archevêque ? » — Ordre fut donné d’amener le directeur Garreau. On le remit aux soldats ; il fut conduit dans le chemin de ronde et fusillé. — La justice doit toujours procéder avec lenteur, ne serait-ce que pour laisser à la passion le temps de s’éteindre.


II. — LA GRANDE-ROQUETTE. — ARRIVÉE DES OTAGES.

La rue de la Roquette, qui commence place de la Bastille pour aboutir au cimetière du Père-Lachaise, s’élargit vers le dernier tiers de son parcours en une sorte de place carrée fort célèbre dans la population parisienne, car c’est là que se font les exécutions capitales. De chaque côté de ce lugubre emplacement s’élèvent les hautes et tristes murailles de deux prisons. À gauche, c’est la maison d’éducation correctionnelle, que l’on nomme aussi les Jeunes-Détenus et plus communément la Petite-Roquette ; à droite, la