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Grande-Roquette, c’est-à-dire le dépôt des condamnés. L’histoire de la Petite-Roquette pendant la période insurrectionnelle ne présente aucun fait remarquable. Par suite de l’énorme quantité de soldats de toute sorte qui encombraient Paris lors de la guerre franco-allemande, la maison d’éducation correctionnelle était devenue maison de correction militaire. Au 18 mars, elle renfermait 71 gardes nationaux et 336 soldats de toutes armes détenus disciplinairement ou par suite de jugemens ; ils furent mis en liberté entre le 19 et le 22 mars. On y réintégra les enfans que les nécessités du service avaient forcé d’interner dans d’autres prisons : il en existait 117 dans les cellules le 27 mai ; à ce moment, ils furent délivrés et armés. On les poussa à la défense des barricades ; quelques heures après, 98 d’entre eux étaient volontairement rentrés et demandaient aux surveillans une hospitalité qui ne leur fut pas refusée. C’est dans cette prison que du 20 au 25 mai la commune fit enfermer les soldats réguliers abandonnés à Paris par le gouvernement légal et qui avaient refusé de s’associer à l’insurrection. Vers la dernière heure, ils étaient à la Petite-Roquette au nombre de 1,333 ; plus tard nous aurons à dire ce que l’on en fit.

Le directeur installé dès le 20 mars par le comité central et par le délégué à la préfecture de police se nommait Clovis Briant. C’était un lithographe, jeune, très viveur, aimant les longs repas, auxquels il invitait ses collègues Garreau de Mazas, Mouton de Sainte-Pélagie, François de la Grande-Roquette ; le sexe aimable ne faisait point défaut à ces petites fêtes, le vin non plus. L’administration régulière avait, pendant le mois de janvier, expédié par erreur deux pièces de vin blanc à la prison des Jeunes-Détenus ; ces deux pièces avaient été gerbées dans la cave en attendant qu’on vînt les reprendre. Clovis Briant les découvrit, les fit mettre en perce et les but en douze jours, avec ses amis. Il avait abandonné la direction de la prison à son personnel, qu’il avait conservé, et ne s’occupait que d’opérations militaires ; c’est ce qui le perdit. Jusqu’au dernier moment, il tint tête sur les barricades du quartier aux troupes françaises : il fut arrêté le 28 mai, au point du jour ; on avait déjà donné l’ordre de l’incarcérer, et il allait être épargné, lorsqu’un capitaine de fusiliers marins le fit fouiller. Dans un petit portefeuille rempli de papiers insignifians, on découvrit le brouillon d’une dépêche ainsi conçue, et adressée au comité de salut public ; « Envoyez-moi des renforts ; faites brûler le quartier de la Bourse, et je réponds de tout. » À cette heure d’extermination, cela équivalait à un arrêt de mort ; il fut immédiatement exécuté.

L’histoire de la Grande-Roquette est moins simple, car cette prison sinistre entre toutes, qui reçoit les condamnés avant leur départ pour les maisons centrales ou pour le bagne, qui a un