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sentimental et quintessencié, Montreuil ne se relevait que dans ses épigrammes et ses madrigaux, d’un ton parfois fort licencieux. « C’était, dit le cardinal de Retz, un des plus jolis garçons que j’aie jamais connus. » A en juger par les éloges que Montreuil se donne dans ses lettres, il était surtout idolâtre de la beauté de ses dents. Eh bien ! chose étrange, ce petit abbé galant et musqué, qui passait sa vie au sein des plaisirs et qui dévorait toujours d’avance les revenus d’un riche patrimoine et d’un gros bénéfice de Bretagne, ce petit abbé avait une trempe de caractère et une bravoure à toute épreuve. C’était un des hommes de main en qui le grand Condé avait le plus de confiance. « Montreuil ralliait par son zèle et par son application tous les serviteurs de M. le prince qui étaient dans Paris, dit le cardinal de Retz, et il en fit un corps invisible qui est assez souvent, en ces sortes d’affaires, plus à redouter que des bataillons… Il servit admirablement MM. les princes, et son activité, réglée par la conduite de Mme la palatine,… conserva toujours dans Paris un levain de parti qu’il n’est jamais sage de souffrir… » tel était l’homme que les princes avaient choisi pour briguer la pourpre en faveur du prince de Conti, sans nomination et recommandation du roi, et afin de ruiner les prétentions du coadjuteur. Montreuil était déjà installé à Rome dès le 27 septembre. Il se donna d’abord pour un gentilhomme anglais, mais il ne put rester plus de trois ou quatre jours dans son rôle sans se trahir, et bientôt l’ambassadeur de France apprit par ses espions qu’il annonçait à tout venant l’objet de sa mission et qu’il se répandait en discours frondeurs contre le gouvernement français. Le bailli en fut outré d’indignation et lui envoya dire que, s’il voulait tenir de tels discours, il n’avait qu’à aller loger chez l’ambassadeur d’Espagne ; il le menaça même, s’il ne changeait de langage, de le traiter en criminel de lèse-majesté. Pour comble d’imprudence, Montreuil avait fait connaître hautement son intention de ne point rendre visite à l’ambassadeur. Ainsi dès les premiers jours de son arrivée, et fort heureusement pour le coadjuteur, il s’était mis à dos le bailli, et celui-ci s’était empressé, dans la première audience qu’il eut du pape, à disposer le pontife à ne rien faire en faveur des princes, qui, disait-il, ne pouvaient appuyer leur demande d’aucune nomination du roi[1].

A la réception de la dépêche du comte de Brienne, secrétaire d’état des affaires étrangères, qui lui annonçait, dès le 22 septembre, la nomination du coadjuteur au cardinalat, le bailli s’empressa de lui répondre qu’il la présenterait secrètement au pape à la première audience et qu’il presserait la promotion de tous ses efforts[2].

  1. Le bailli de Valençay au comte de Brienne, secrétaire d’état des affaires des étrangers. Archives du ministère des affaires étrangères, Rome, t. CXIX.
  2. Le bailli de Valençay au comte de Brienne, 2 octobre 1651. Ibid.