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riées, des articles de rebut et des chinoiseries ridicules, comme de véritables Marais Pontins, dont la pestilence corrompt l’air à dix lieues à la ronde, enfin comme des cavernes où se commettent d’abominables méfaits. Qu’est-ce qu’un professeur allemand, ordinaire ou même extraordinaire ? Un vrai mandarin chinois, qui prend le plus grand soin de sa tresse et qui enseigne à la jeunesse moyennant finance l’art de faire pousser la sienne, car c’est à la longueur de sa cadenette que se mesure le mérite d’un homme. À la vérité, quelques-uns de ces mandarins furent jeunes autrefois, et ils eurent jadis quelque mérite et quelque savoir, mais depuis longtemps l’horloge s’est arrêtée, et ils ont décidé qu’il ne s’est rien passé dans le monde depuis le jour où ils ont cessé de penser. La science réside tout entière dans le cahier jauni qu’ils griffonnèrent il y a vingt ans et que chaque année ils relisent d’une voix plus nasillante et plus chevrotante. Malheur à qui ne se contente pas de ces vieux galons, de cette vieille défroque ! Malheur surtout à qui s’en moque ! L’insolent encourra les ressentimens du mandarin, dont les rancunes sont implacables ; s’il vous paraît débonnaire ou sentimental, ne vous y fiez pas, c’est un faux bonhomme. Ajoutez que d’habitude il est marié, qu’ayant une femme, il lui arrive quelquefois d’avoir un fils, et qu’il cherche à le placer. S’il n’a pas de fils, il a un gendre ; s’il n’a pas de gendre, il a un neveu ; bref il a toujours quelqu’un des siens à pousser dans la première chaire vacante, et c’est ainsi que se recrute le personnel universitaire. Que si le mandarin n’a ni fils, ni gendre, ni neveu, ni cousin pauvre, il tâche d’avoir pour collègue quelque médiocrité bien avérée, quelque nullité patentée, qui ne lui donne aucun ombrage. Il l’ira chercher à Gœttingue, à Giessen, et, s’il le faut, jusque dans les entrailles de la terre, bien qu’il soit rarement besoin d’aller si loin pour la trouver. Le plus souvent il l’a sous la main ; c’est quelque bon jeune homme, qui a été son disciple ou son famulus et qui, instruit de bonne heure dans les usages du monde et dans l’art de faire son chemin, s’est ménagé la bienveillance du patron par ses bons offices, par ses attentions serviles, par son humilité confite en dévotion. Le mandarin est le plus intéressé des hommes ; il est toujours attentif à grossir son casuel en écartant toute concurrence incommode, et sa grande préoccupation est de se procurer des auditeurs payans ; s’il ne tenait qu’à lui, il les ferait racoler par les gendarmes. M. Dühring nous a raconté dans un de ses livres toutes les rubriques, tous les petits artifices par lesquels les professeurs d’économie politique travaillent à recruter des étudians ; leurs peines ne sont pas toujours récompensées. Il y en a deux à Marbourg, et entre eux deux ils n’ont qu’un auditeur ; ne pouvant le partager, ils se le repassent à tour de rôle, l’un s’en allant en voyage, pendant que l’autre fait son cours. Bon an, mal an, leurs leçons coûtent au peuple de dix à vingt thalers pièce,