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active et mieux ordonnée, la possibilité d’une foule de recherches auparavant impraticables, firent adopter, pour l’instruction et le jugement des affaires criminelles, de nouvelles pratiques qui éloignèrent de plus en plus la procédure criminelle de la procédure civile. Ces procédures se séparèrent ainsi graduellement par la force des choses. Des exceptions s’introduisant, quand il s’agissait d’affaires criminelles, à la marche adoptée pour les procès, dans la procédure criminelle l’exception devint le cas habituel ; ce qu’on appela au criminel la procédure extraordinaire fut en réalité, malgré ce nom, la procédure usuelle et normale. Une des conséquences les plus importantes de la distinction qui se fit entre le civil et le criminel fut d’enlever à la peine du crime commis envers un individu le caractère d’une satisfaction personnelle donnée à la victime ou à ses ayans cause. Le châtiment apparut de plus en plus comme une punition infligée par la société au coupable, le procès criminel comme la recherche de l’auteur du crime opérée dans l’intérêt public. Tant que la poursuite ne se faisait qu’à la diligence et sur l’accusation de l’offensé ou de ses ayans droit, pour leur compte, tant que le châtiment représentait en réalité ce que nous appelons les dommages et intérêts, on était en présence de deux parties qui couraient l’une et l’autre le danger d’être condamnées ; celle qui succombait, que ce fût l’accusé ou que ce fût l’accusateur, devait subir la peine établie par la coutume. L’accusation était-elle mal fondée, le châtiment par la loi du talion retombait sur le demandeur. Les choses se passaient encore souvent de la sorte vers la fin du XIIIe siècle, comme nous le montre un ouvrage célèbre composé à cette époque et qui est connu sous le nom d’Etablissemens de Saint-Louis, quoique, ainsi que l’a récemment démontré par ses savantes recherches M. Paul Viollet, le saint roi n’en ait été en aucune façon l’auteur. Un tel système ne pouvait manquer de retenir bien des velléités d’accusation. On ne se risquait guère à traduire quelqu’un devant le juge que lorsqu’on avait à produire des preuves irréfragables, ou, si l’on recourait au combat en champ-clos, que lorsqu’on se sentait assez fort et de la vérité et de son poignet ou de celui de son champion, pour accabler son adversaire. Bien des coupables avaient donc chance de demeurer impunis. La nécessité se fit sentir de donner au magistrat, dans la répression du crime, une initiative qui ne lui appartenait pas d’abord, de le charger de poursuivre le crime avéré et dont cependant aucun de ceux qui avaient qualité pour le faire ne demandait réparation. Déjà, quand il n’y avait pas d’héritier ou d’ayans cause de la victime, de l’offensé, le seigneur qui personnifiait la société devait se charger de la poursuite, c’est-à-dire que son magistrat devait instrumenter.