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Si l’homme qui a été occis, dit un ouvrage de jurisprudence célèbre du XIIIe siècle, le Livre de justice et de plet, a un enfant ou de proches parens et que ceux-ci n’osent poursuivre le meurtrier, la demande leur appartenant, le seigneur ne peut se substituer à eux ; mais, si l’homme qui a été tué n’a ni parens ni amis qui le puissent venger, le roi peut se faire demandeur et réclamer une peine contre l’accusé selon ce qu’il apprendra, faire procéder à sa condamnation corporelle. C’était là un premier pas, une première intervention au nom de l’intérêt public de l’autorité judiciaire en matière de crime privé. On alla bientôt plus loin, et le juge dut agir d’office, alors même que les intéressés, par négligence, ignorance ou peur, n’élevaient pas la voix contre celui que l’opinion accusait du crime commis. Mais comme il ne poursuivait qu’à défaut des intéressés, il dut d’ordinaire, quand un homme avait été arrêté sous le soupçon d’un crime, faire préalablement annoncer la chose à plusieurs reprises et à plusieurs jours d’intervalle par un cri public, et c’était seulement si nulle partie ne se présentait pour soutenir l’accusation qu’il agissait d’office, en vertu du principe qu’un crime notoire ne doit point rester impuni, principe qu’on voit déjà apparaître aux temps barbares. Le juge se trouva donc dans l’obligation d’agir comme l’auraient fait la victime ou ses représentans, mais il ne pouvait naturellement, un tel système étant adopté, être exposé à la peine qui menaçait le demandeur, si celui-ci était débouté dans sa poursuite et si le défendeur établissait son innocence ou son droit, hors, bien entendu, le cas d’injustice exorbitante ou de calomnie manifeste. Ce n’était pas en effet dans son intérêt personnel, mais dans l’intérêt public, que le juge se portait accusateur ; on eût paralysé son action en le rendant responsable de son erreur. D’ailleurs pour les crimes et les méfaits contre lesquels il agit d’abord d’office, il y avait presque toujours flagrant délit ou preuves incontestables ; c’était à titre de gardien de la sûreté publique que l’officier de judicature du roi ou du seigneur faisait arrêter l’accusé et le jugeait. Le roi chargea ses prévôts et ses baillis de sévir contre les malfaiteurs, contre les larrons de profession. Ces magistrats ne pouvaient dès lors être astreints aux formes de procédure qu’impliquait l’accusation d’un particulier contre celui qu’il présumait coupable du crime ou du délit dont lui ou les siens avaient été victimes. La notoriété d’un méfait, d’un attentat, devint ainsi pour le juge un motif légitime et suffisant d’agir personnellement contre l’incriminé, sans attendre que quelqu’un, en vertu de son droit, se portât accusateur. De même dans l’ancienne Rome, quand aucun accusateur ne provoquait d’information contre un crime devenu manifeste, cette information était