Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le joug d’institutions qui ont perdu leur raison d’être. Les lois de l’histoire ont leur prix, mais elles ne peuvent prévaloir à tout jamais contre les changemens nécessaires et les progrès naturels des sociétés humaines.

Malheureusement la réforme équitable décrétée par l’assemblée constituante, avec les sages garanties qui lui servaient de contrepoids, ne fut pas exécutée. Les distinctions savantes, consacrées par les jurisconsultes, furent trouvées subtiles par un peuple exaspéré, exalté et trop enivré de sa force pour se souvenir toujours de la justice. L’horreur contre la féodalité était telle que l’on ne pouvait croire qu’il y eût quelque chose de fondé dans ses prétentions. Partout le peuple refusa de payer et de racheter, et la législation révolutionnaire lui donna raison. Il faut donc reconnaître que, partie du sentiment de l’équité, la révolution s’est laissé entraîner à la confiscation.

Cependant, si c’est là une vérité qu’il est impossible de contester, certaines considérations peuvent être mises en avant, je ne dis pas pour justifier, mais pour atténuer les torts de la révolution en cette circonstance. Je ne parle pas des abus du pouvoir féodal, abus qui duraient depuis tant de siècles et qui avaient fini par tellement irriter les peuples que ceux-ci étaient devenus incapables de distinguer le juste et l’injuste en cette affaire ; mais d’autres considérations peuvent encore être invoquées pour expliquer ces graves événemens.

L’assemblée constituante partait de cette idée que tout ce qui dans le régime féodal n’était ni droit honorifique, ni droit servile, ni droit justicier, devait être un droit foncier représentant une concession primitive de fonds. Or l’histoire nous apprend que tous les fiefs ou bénéfices n’ont pas toujours été à l’origine des concessions gratuites et libres, que beaucoup ont été des alleux transformés par la force des choses en fiefs. Qu’était devenue l’ancienne propriété allodiale et libre ? Elle avait été absorbée par le régime féodal dans lequel il fallait absolument trouver place pour obtenir sécurité et garantie : partout les petits alleux avaient disparu. Sans doute, la protection obtenue avait le droit de se faire payer ; mais, cette protection ayant cessé depuis longtemps, la rente devait-elle être éternelle ? Un alleu devait-il être tenu à se racheter comme un fief ou une censive ? Dans l’impossibilité où l’on était de remonter à l’origine des concessions bénéficiaires, fallait-il les supposer partout comme la constituante, ou nulle part comme la convention ? La propriété féodale était d’une nature spéciale, aussi bien politique que sociale. Il y avait là des complications qui rendaient bien difficile toute solution, et tout au moins est-il permis de dire que parmi les