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Dira-t-on qu’ouvrir en principe la propriété à tous, tandis qu’en fait si peu peuvent y atteindre, c’est faire plus de mal que de bien ? N’est-ce pas là une sorte d’ironie de la loi ? Les réformateurs haineux ne se sont pas fait faute de mettre en relief cette ironie. Nous répondrons : Il importe peu qu’on interprète mal un principe de justice, ce n’est pas une raison pour que le législateur pratique sciemment l’injustice. De ce que tous ne peuvent pas arriver à la propriété, ce qui dépend des conditions économiques qui ne sont pas en la puissance de la société, ce n’est pas une raison pour que ceux qui peuvent y arriver par le travail en soient exclus par la volonté de leurs prédécesseurs.

Tels sont donc les deux droits en présence : d’une part le droit de la propriété acquise, de l’autre le libre accès à la propriété. La révolution, préoccupée surtout des abus du droit de premier occupant, a cherché à le restreindre par la limitation du droit de tester. Les raisons qui ont déterminé alors les législateurs ont-elles encore aujourd’hui la même valeur ? y a-t-il lieu de reprendre cette question et de restituer à la liberté testamentaire une plus large part ? Quelques-uns le croient ; mais nous ne voulons pas entrer dans ce débat. Nous ne jugeons pas la question au fond, nous la considérons seulement au point de vue historique. La révolution était-elle fondée à avoir de pareilles craintes ? Oui, sans doute, puisque l’ancien régime les avait eues lui-même, lui-même avait été préoccupé des abus du droit de disposer et avait cherché à le restreindre.

Le droit de la révolution est donc incontestable. Elle avait avant tout pour objet de combattre la propriété immobile et privilégiée : le droit illimité de tester n’était au fond que le droit d’interdire la propriété à tous au profit de quelques-uns. De là l’opposition de la révolution à cette prétendue liberté ; mais le droit d’aînesse et de substitution étant aboli d’une part, de l’autre le droit absolu de tester étant écarté, il ne restait plus que le vieux système coutumier, appliqué jusque-là aux biens de roture, à savoir le partage égal, avec un droit de réserve pour le père de famille. Quant à la quotité de la réserve, ce n’est plus qu’une question technique et pratique, où la lutte des deux principes se retrouve sans doute encore, mais avec beaucoup moins de gravité.

Au reste l’expérience a prouvé que dans cette circonstance le législateur n’a pas dépassé la mesure fixée par les mœurs, par les intérêts, par les sentimens de la nation. En fait, l’immense majorité des citoyens n’use même pas des droits que la loi leur laisse ; l’autorité paternelle, dont on demande sans cesse l’extension, ne profite même pas dans la plupart des cas de la faculté de réserve qui lui est laissée. Ces mœurs se sont répandues jusque dans les classes