Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aristocratiques, et l’on vit, sous M. de Villèle, un membre de la noblesse refuser d’être pair de France à la condition de constituer un majorât pour son fils aîné : tant il est vrai, comme l’a dit M. de Tocqueville, que les classes aristocratiques elles-mêmes ont été gagnées par la douceur de mœurs de la famille démocratique.

En résumé, nous pouvons dire que l’abolition du régime féodal et l’abolition des privilèges en matière de succession ont eu pour double conséquence d’établir d’une part la liberté de la propriété, de l’autre le libre accès à la propriété. Si à ces deux réformes nous ajoutons l’abolition des jurandes et des maîtrises, et la consécration du principe de Turgot, à savoir « que le travail est la première et la plus sacrée des propriétés, » si nous considérons que la constituante a également consacré la propriété industrielle par l’établissement des brevets d’invention, qu’elle a posé la première base de la propriété intellectuelle et littéraire, que par le principe de la liberté de la presse, elle a ouvert la carrière à une nouvelle sorte de propriété, on peut affirmer sans réserve que la résultante générale des principes de la révolution a été l’affranchissement et l’extension de la propriété. Le mouvement général de la révolution est donc dans le sens de la propriété individuelle et non de la propriété commune. Quand on parle de l’expropriation pour cause d’utilité publique comme d’une atteinte à la propriété dont la révolution serait responsable, on oublie que ce droit existait déjà dans l’ancien régime ; mais, ce qui n’existait pas, c’était la garantie d’une indemnité préalable fixée par les tribunaux, ce qui est encore en faveur de la propriété. Il résulte de tous ces faits que la société de 89 est celle où le principe de la propriété a été le plus solidement établi dans le monde, et où les droits de chacun ont été garantis avec le plus d’équité. C’est dans les principes mêmes de la révolution que l’on trouvera le point d’appui le plus solide contre les rêveries socialistes, si de telles rêveries existent encore ; ces rêveries ne sont que des réminiscences d’ancien régime : omnia sunt régis, tel était le principe de la monarchie absolue, tel est le principe du communisme, la nation ayant succédé au roi. La révolution, en supprimant la mainmorte des corporations et la directe universelle de la royauté, a rendu à tout jamais impossible l’établissement d’une société communiste.


PAUL JANET.