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février[1] 1652, de fort bonne heure, et, l’ayant commencé par la promotion, il attendit tranquillement la visite de l’ambassadeur, qui envoya s’excuser voyant que le coup était manqué. Cela dut le toucher d’autant plus sensiblement que le dimanche au soir il avait reçu par un courrier extraordinaire non-seulement la révocation en forme, mais aussi une nomination en sa faveur… »

Ce récit est des plus piquans, malheureusement il ne contient pas un mot de vrai. Nous savons en effet que l’ambassadeur n’avait pas entre les mains la révocation de Retz ; sa lettre nous apprend de plus que le 19 février il ne se douta nullement, pendant une partie de la journée, que la promotion avait eu lieu le matin même et qu’il ne demanda une audience au pape que pour le lendemain, Guy Joly se trompe encore en disant que la promotion eut lieu le 18 ; enfin il ne s’est pas moins abusé en avançant que le bailli avait reçu la veille sa propre nomination au cardinalat. La lettre de l’ambassadeur du 19 février détruit donc de fond en comble le charmant récit de Guy Joly. Retz d’ailleurs dit formellement dans ses Mémoires que le bailli « ne fut averti de la promotion qu’après qu’elle fut faite ; » mais il ajoute que le pape Innocent lui dit savoir de science certaine que l’ambassadeur avait en main l’acte de sa révocation et que l’abbé Charrier lui dépêcha deux courriers pour lui donner le même avis. Il a inventé cette dernière circonstance dans l’intérêt de son apologie ; il n’en est nullement question dans ses lettres à l’abbé Charrier. Retz y dit au contraire, jusqu’à la fin de sa correspondance, qu’il est certain que sa nomination ne sera pas révoquée. Ces points essentiels tirés au clair, reprenons le fil de notre récit.

Le jour même de la promotion, l’abbé Charrier et le grand-duc de Toscane expédièrent, chacun de son côté, un courrier extraordinaire au coadjuteur pour lui apprendre cette nouvelle, et le bailli de Valençay la fit savoir à Brienne par deux voies différentes. Le courrier du grand-duc devança celui de l’abbé Charrier. Le coadjuteur prit aussitôt le nom de cardinal de Retz qu’avait déjà porté un de ses grands ondes, évêque de Paris. Il envoya annoncer cette nouvelle « à tous ses amis, qui en témoignèrent une joie extrême, à la réserve de Mme et de Mlle de Chevreuse, qui en parurent peu touchées, attendu qu’elles avaient enfin découvert les intrigues de ce prélat avec la princesse palatine[2]. » Cette nouvelle causa autant de déplaisir à Condé et à Mazarin que de satisfaction au coadjuteur et à ses amis. En homme qui savait se contenir, Mazarin expédia Champfleury, capitaine de ses gardes, à la reine pour la conjurer d’en faire paraître de la joie.

  1. Lisez le 19.
  2. Mémoires de Guy Joly.