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cesse en haleine par la peur de sa réconciliation avec ce prince, ce qui eût remis le feu aux quatre coins du royaume. Enfin il ne négligea rien pour hâter sa promotion, par l’envoi de plusieurs courriers extraordinaires, afin d’imprimer au pape une terreur panique par la nouvelle du retour en France du cardinal-ministre[1]. Ce résultat, il faut l’avouer, était bien mince pour un homme d’un si merveilleux esprit. S’il n’avait eu en vue qu’un chapeau, comme il le prétend, se fût-il donc donné tant de mal ? Quoi qu’il en ait dit, le chapeau n’était pour lui qu’un moyen, qu’un degré pour monter encore plus haut. Ce qu’il rêvait, bien qu’il ait soutenu constamment le contraire, c’était l’héritage de Mazarin, Ce fut le but secret qu’il poursuivit sans paix ni trêve à travers les intrigues, les conspirations et la guerre civile.

On sait comment cet ambitieux dessein fut déjoué par un coup de maître du rusé cardinal. Avec une habileté sans pareille, Mazarin sut profiter de l’ivresse et de l’éblouissement où fut plongé le coadjuteur par sa nomination au cardinalat pour enlever sur-le-champ à sa domination et à celle du duc d’Orléans le jeune roi et Anne d’Autriche. Du jour où la reine quitta Paris, Mazarin fut sauvé et le coadjuteur perdu sans ressource. L’un reconquit son ministère ; l’autre ne gagna qu’un chapeau de cardinal et une prison. Ainsi fut réalisée la prédiction de Retz à Gaston, l’oncle du roi : « Vous serez, monseigneur, fils de France à Blois ; moi, je serai cardinal à Vincennes. »


R. CHANTELAUZE.

  1. L’extrême habileté mise en œuvre par Retz pour conquérir le chapeau n’a point échappé à Victor Cousin. « Mazarin, dit-il, faisait écrire officiellement à Rome, par le secrétaire d’état Brienne, pour le chapeau de Retz ; mais d’autres dépêches plus confidentielles avertissaient de ne se point presser, et si Retz a été nommé cardinal, il le doit par-dessus tout à lui-même, d’abord à ses heureuses manœuvres au Palais-Royal et auprès de la reine, ensuite à son admirable activité, à ses puissantes intrigues auprès du saint-siège et aux énormes dépenses qu’il sut faire pour séduire et entraîner la cour de Rome. » (Madame de Longueville pendant la fronde.)