Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

règle si l’on faisait mine de vouloir s’emparer de sa personne. Autant il en fit dans l’église de Notre-Dame, dont les tours regorgèrent bientôt d’armes et de munitions. Il espérait aussi que l’on y regarderait à deux fois avant de porter la main sur un prince de l’église, que la pourpre rendait en quelque sorte inviolable ; mais il s’était trompé dans ce calcul comme sur bien d’autres. Mazarin n’était pas homme à se laisser tenir en échec pour si peu. Lui qui disait souvent, lorsqu’il avait à se plaindre du pape, « qu’il saurait bien détromper les Français du fantôme de Rome, » comment eût-il respecté un lambeau de pourpre ? Avant de faire son entrée à Paris, il adressa à la reine un mémoire secret dans lequel il lui conseillait de faire arrêter son incorrigible ennemi. En même temps, il la priait de jeter au feu son mémoire, afin de s’épargner l’odieux d’avoir, lui cardinal, fait porter la main sur un autre cardinal. Mais la reine ne crut pas devoir se rendre à ce dernier conseil de son favori ; le curieux mémoire, conservé par elle, fait aujourd’hui partie des manuscrits de la Bibliothèque nationale. À partir du signal donné par Mazarin, le jeune roi n’hésita plus ; il donna l’ordre à Pradelle, capitaine de ses gardes, — l’ordre écrit et signé de sa main, — de s’emparer du cardinal de Retz, mort ou vif. Le prélat, dans un moment d’oubli, commit l’imprudence de quitter sa forteresse, où nul n’aurait songé, par un dernier reste de respect pour le caractère sacré et la dignité dont il était revêtu, à l’attaquer à main armée. Malgré les avertissemens de ses amis, il se rendit seul au Louvre, le 19 décembre 1652, pour y saluer la reine mère et le jeune roi. On sait comment il y fut arrêté et conduit à Vincennes, sans que le peuple, dont il avait été si longtemps l’idole, tentât le moindre effort pour sa délivrance. Celui qu’il avait fait exiler deux fois le gardait maintenant dans un château-fort, bien résolu, non-seulement à ne pas tenir la parole qu’il lui avait si dérisoirement donnée de partager avec lui le ministère, mais à prendre si bien ses mesures qu’il ne pût jamais être son successeur.

Mazarin se réconcilia tôt ou tard avec tous ses ennemis, hors avec celui qu’il considérait comme le plus dangereux de tous. Une prison de près de deux ans, huit années d’exil, une fin obscure, tel devait donc être le résultat final de tant d’efforts, de courage, d’habiles manœuvres où Retz avait épuisé tout ce que peut inventer le génie de l’intrigue. L’unique fruit qu’il retira de cette longue lutte, qui avait duré plus de trois ans, ce fut la pourpre. Nous savons comment il l’obtint à force de ruse, de persévérance, d’audace et d’habileté. Il força la cour, malgré elle, à signer sa nomination ; il empêcha la reine et Mazarin de la révoquer, en servant indirectement leur cause par sa lutte ardente avec le grand Condé, en les tenant sans