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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

luttant de vitesse avec lui. Nous voici déjà bien loin du rivage ; nous n’apercevons maintenant, à plusieurs milles de distance, qu’une nappe liquide verdie par la cime des joncs qui émergent d’une profondeur de 10 mètres, et où dérivent, comme de petits îlots mouvans, des troncs d’arbres enchevêtrés avec des lianes et des roseaux. Nous continuons d’avancer à travers des traînées d’arbustes à demi noyés qui, vingt fois, menacent d’obstruer entièrement le passage ; bientôt toute issue nous semble définitivement fermée, une ligne de verdure uniforme et continue apparaît devant nous ; mais nos pilotes nous indiquent un enfoncement à peine perceptible entre les arbres. Nous atteignons bientôt cette saignée : c’est l’une des embouchures du Stung-Sen, rivière inexplorée que la canonnière doit remonter pour se rapprocher des ruines.

Toujours nul vestige d’habitation ; pas une barque, un fleuve sans rivages ; deux ou trois bambous dépassant à peine la surface de l’eau, telle est la seule trace visible de ces importantes pêcheries qui, chaque année, pendant la saison sèche, s’établissent aux embouchures de tous les affluens du lac. Nous entrons dans une forêt de trams, grands arbres dont l’écorce, détachée en larges écailles, sert à former la toiture des cases des indigènes, et, quelques instans après, nous découvrons le village de Phat-Son-Day. Ce n’est qu’un hameau flottant, exclusivement occupé par des pêcheurs ; les habitans de ces parages vivent presque constamment dans leurs barques ; ils se contentent d’établir sur la rive, à fleur d’eau, de petits campemens provisoires pour y loger leurs animaux domestiques, et, suivant la crue, ils se transportent aux points qui leur promettent le meilleur butin, errant sans cesse sur ce désert liquide comme les Arabes nomades à travers leur désert de sable. Deux jours de navigation dans cette solitude nous conduisent enfin à un lieu vivant, Compong-Thom, le grand marché, une ancienne ville qui fut détruite par un incendie. Ici le personnel de la mission se sépare momentanément : tandis que M. Bouillet se charge de remonter le cours supérieur de la rivière, nous nous disposons, de notre côté, à gagner la montagne Phnom-Son-Tuc, où l’on nous a signalé des ruines.

Les cases de Compong-Thom sont construites sur un terrain qui dépasse de 2 mètres à peine le niveau de la rivière, et tout alentour, à perte de vue, s’étendent des marais ; Phnom-Son-Tuc, au contraire, s’élève au-dessus de cette vaste plaine liquide comme un îlot volcanique sortant de la mer. Installés dans des chars, nous coupons en ligne droite à travers les hautes herbes dans plusieurs pieds d’eau. Les buffles, qui traînent nos véhicules, sont là dans leur élément favori ; c’est plaisir de les voir barboter