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pied du sanctuaire gardé par des bonzes. Aux alentours, on aperçoit de petits monticules qui attestent la stupide superstition des populations modernes ; ils sont élevés par les dévots convaincus que quelque Bouddha futur changera en une nuit ces amas de boue en des temples semblables à l’œuvre merveilleuse de l’architecte du ciel. Beaucoup de pèlerins s’y donnent rendez-vous ; aussi nos cases recevaient-elles sans cesse de nombreux visiteurs. C’étaient parfois des curieux, le plus souvent aussi des infirmes, des malades qu’aucune pratique de piété ni qu’aucune incantation n’avaient pu guérir, et qui venaient, en désespoir de cause, implorer l’assistance toujours bienveillante des docteurs falançais. Quelquefois, parmi les incurables, se trouvaient des espèces de spectres, à la démarche chancelante, au teint terreux, à l’œil morne et cave, dans lesquels il était facile de deviner des fumeurs d’opium : pour ceux-là, la médecine restait impuissante, non moins que les offrandes aux bonzes et les prières à Bouddha.

De la Pagode royale, nous nous rendîmes à Siem-Reap avec l’intention de visiter successivement les ruines situées sur les deux rives du cours d’eau, qui de là va se jeter dans le Grand-Lac. Le lendemain de notre arrivée, une barque nous amena un second renfort, envoyé de Phnom-Penh par M. Moura, sous les ordres de M. Aymonier ; mais presqu’en même temps une dépêche du gouvernement nous rappelait au plus tôt à Saïgon, où nous devions nous tenir prêts à partir pour le Tonkin. Nous ralliâmes donc la Javeline avec tout notre personnel et la plus grande partie de notre bagage d’antiquités, en laissant à MM. Filoz, Aymonnier et Moura le soin de faire suivre les pièces de sculpture qui demeuraient en arrière. Une fois à Saïgon, nous trouvâmes un changement de scène inattendu ; de graves événemens venaient de se passer au Tonkin, et, le jour même de notre arrivée, une mission militaire partait pour ce pays, où les troubles politiques rendaient momentanément impossible l’exploration toute pacifique que nous étions chargés d’y accomplir. Moi-même, atteint des fièvres paludéennes, et plus gravement que je ne l’avais cru tant qu’avait duré la période active du voyage, je dus me conformer à la décision du conseil de santé et regagner immédiatement la France pour y rétablir mes forces et y attendre un temps plus propice à l’exécution de mon projet.

Cette courte mission, hérissée de tant d’obstacles, avait eu pour résultat de révéler l’existence de plusieurs édifices considérables et de faire connaître d’intéressantes particularités archéologiques ; il restait toutefois à compléter ces recherches en poussant de nouvelles investigations à l’ouest du Grand-Lac, dans les régions que nous n’avions pu visiter. Ce fut un de nos compagnons de voyage, M. Fa-