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calculs des uns, aux imprévoyances et aux témérités des autres, César en peu de temps réussit à démanteler la Gaule. Il écrasa successivement les Helvètes, les Armoricains, les Belges et les Aquitains. En même temps, il s’établit solidement au centre par son alliance étroite avec les Rèmes (pays de Reims), avec les Éduens surtout (Autunois), qui commandaient à toute une clientèle de cantons subordonnés. Leur concours, adroitement acheté par des promesses de tout genre, principalement par la perspective de devenir bientôt les maîtres de la Gaule entière, semblait lui garantir la tranquillité de toute la région centrale.

C’est au contraire à ce moment même qu’une insurrection formidable, coalisant dans un effort désespéré les résistances de la jeune nation qui voulait vivre, faillit terminer par une catastrophe le cours de ses éclatans succès et changer dans des proportions incalculables la direction de l’histoire. Le chef ou plutôt l’âme de cette magnifique explosion du sentiment national fut un jeune Arverne, qui ouvre ainsi de la plus brillante manière la série de nos grands héros. Rien de plus intéressant que de reconstituer son histoire, comme l’a fait M. Francis Mounier, en se servant avec une critique judicieuse des données fournies par son vainqueur lui-même et de quelques renseignemens dispersés chez les autres historiens.


I

Vercingétorix (le grand chef des braves)[1] est un enfant de l’Auvergne ou de la cité arverne. Sa patrie est la Gergovie, ou forteresse des Arvernes, dont on voit encore les ruines sur une montagne non loin de Clermont-Ferrand. Son père Keltil (le grand Celte) chef ou roi de ce canton, avait été, dit César, en possession du principat de toute la Gaule, ce qui veut dire que, sous sa direction, la cité arverne atteignit ce degré de prépondérance qui tendait à réaliser l’unité nationale autour d’elle comme autour d’un centre reconnu. On ne sait rien de positif sur sa première jeunesse et son éducation. Celle-ci fut sans doute semblable à celle que recevaient les jeunes nobles gaulois, c’est-à-dire que, sous le rapport intellectuel et littéraire, elle fut très incomplète. Mais derrière les Cévennes était la Province, et déjà sans doute la civilisation romaine avait projeté quelques rayons par de la les montagnes. Vercingétorix parlait le latin, peut-être le grec. On peut inférer de la haute position conquise par son père que celui-ci fut à la tête du parti unitaire, national, opposé par conséquent aux ingérences romaines. Pour se

  1. Ses médailles portent en majuscules latines VERCINGETORIXS ; celles des Éduens sont frappées en caractères grecs.