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VI. — LA JUSTICE DU PEUPLE.

Dans la journée du vendredi 26 mai, la commune se mit en mesure de faire exécuter la résolution prise la veille sur le transfert des otages ; mais auparavant on voulut sans doute les épurer et donner une suite aux exécutions dont Sainte-Pélagie et la Grande-Roquette avaient déjà été le théâtre. Un ordre vague, indéterminé, ne désignant personne nominativement, fut rédigé : cet ordre prescrivait au directeur du dépôt des condamnés, à Isidore François, de remettre à qui de droit tous les gendarmes détenus à la Grande-Roquette et tous les otages que le peloton d’escorte pourrait emmener. L’homme qui se présenta, muni de ce mandat, se nommait Émile Gois ; il n’en était point à son coup d’essai révolutionnaire. Déporté à Lambessa en 1852, rentré à Paris en 1865, il avait été condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité lors du procès de Blois, et s’était jeté sans réserve, au 18 mars, dans le mouvement insurrectionnel. Ami intime de Mégy, très lié avec « le général » Eudes, il ne pouvait manquer d’occuper quelque haute situation pendant la commune ; successivement juge d’instruction, président de la cour martiale, colonel d’état-major, gouverneur des prisons, il avait, malgré ces multiples occupations, trouvé moyen de faire, au commencement de mai, un voyage en Belgique, non point pour proclamer la république universelle dans le Brabant, mais pour déposer en lieu sûr, à l’abri de ses propres amis et des curiosités de la justice légale, une forte somme qui ne paraît pas avoir été le fruit de ses économies. Il avait été jadis employé aux écritures dans une maison de commerce. C’était un grand garçon de quarante-trois ans, blafard, les joues pendantes et le regard conquérant ; dans l’intimité on l’appelait Grille d’égout ; lorsque l’on a étudié la catégorie d’hommes qui gravite autour de la prostitution et qui l’exploite, on reconnaît que ce surnom prouve qu’Émile Gois vivait de ressources impures qu’il est inutile de spécifier.

L’ordre qu’il remit à François ne fut même pas discuté ; il est probable, du reste, que le directeur savait à quoi s’en tenir et qu’il avait été prévenu du sort réservé à certains otages, car il avait, dès la veille, fait dresser deux listes comprenant, l’une tous les prêtres, l’autre tous les gendarmes, les gardes de Paris et les sergens de ville. Gois désigna, en outre, verbalement quatre détenus dont il exigea l’extraction : Auguste Dereste, ancien officier de paix ; Joseph Largillière, ébéniste ; François Greffe ébéniste ; Joseph Ruault, tailleur de pierre ; ces trois derniers étaient accusés d’avoir été agens secrets sous l’empire. Greff, nous l’avons dit, était un ami de François, qui depuis le matin le cachait dans son appartement. Le